> Le PNR Périgord-Limousin : une « fabrique à cohésion » pour la Nouvelle-Aquitaine ?

31052018

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La réforme territoriale a beau être actée, la carte des régions validée, et les nouvelles politiques bien lancées, il va sans doute falloir du temps pour s’habituer à ce nouveau territoire, faire en sorte que les stratégies régionales s’harmonisent au mieux et bénéficient à tous de façon équitable et que la cohésion se fasse (le CESER planche sur le sujet). Pour l’instant, en dépit de statistiques que l’on dit plus ou moins mauvaises (voir à ce titre deux analyses dans La Montagne du 13 décembre 2017 et Le Populaire du 8 janvier), un certain nombre d’inquiétudes demeurent, et la crainte de voir le Limousin réduit au rang d’ « arrière-pays [plus ou moins] dynamique » n’est pas écartée. En témoignent la mobilisation citoyenne des derniers mois autour du départ éventuel de la cour d’appel de Limoges, puis le désarroi des élus locaux concernant l’absence de soutien de l’État pour une modernisation de la RN 147 entre Limoges et Poitiers, ou la suppression du rectorat tout récemment.

Aux gestes d’apaisement (comme l’attribution de deux vice-présidences stratégiques aux élus de Haute-Vienne dans l’exécutif régional), destinés à ménager les états-majors et les responsables économiques, ont succédé quelques engagements forts se voulant rassurants, sur la question des transports ferroviaires notamment. Mais d’autres réalités, qu’elles soient assez directement imputables à la réforme (la suppression de l’AVEC en Limousin l’an dernier ou les menaces sur certaines formations universitaires), ou qu’elles soient surtout révélatrices d’un développement territorial à deux vitesses entre les grandes métropoles et les zones rurales, imposent à chacun d’entre-nous d’être vigilants et déterminés. Car c’est aussi à la société civile de réagir ! Transports, développement économique harmonisé, politiques culturelles… les thématiques qui attendent notre mobilisation et nos initiatives ne manquent pas.

À ce sujet, un projet porteur me semble intéressant à valoriser dans l’optique d’une cohésion réelle des trois territoires ainsi fusionnés. Il suffit de scruter une carte pour réaliser que Limousin et Aquitaine ont déjà en commun le Parc naturel régional Périgord-Limousin. Créée il y a vingt ans maintenant, cette entité, comme ses 50 homologues en France, labellise un territoire essentiellement rural de 1 858 km2, composé de 78 communes (49 en Dordogne, 29 en Haute-Vienne) où sont menées des politiques de soutien aux traditions artisanales et culturelles, de protection des espaces naturels, de valorisation des projets collectifs durables… qui font justement la part belle aux initiatives citoyennes (associatives et professionnelles). S’appuyant sur un territoire à forte cohésion géographique, culturelle et sociale – que sont les marges rurales des aires urbaines de Périgueux et Limoges, le terroir du châtaignier, la terre des feuillardiers, une zone où l’occitan limousin marque encore les pratiques sociales –, le PNR sert déjà de laboratoire de coopération entre élus limousins et aquitains. La région Nouvelle-Aquitaine a récemment réaffirmé son soutien au Parc : 7 millions d’euros pour les trois prochaines années (voir Le Populaire du 16 janvier), au service de la langue régionale, des paysages ou des énergies renouvelables.

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Dès lors, compte-tenu de cet engagement renouvelé, et du dynamisme du portage local, pourquoi ne pas étendre le périmètre du Parc au département voisin de la Charente, dont la partie orientale est sur la plupart des plans (paysager, économique, culturel) très semblable aux espaces déjà labellisés en Dordogne et en Haute-Vienne ? Même paysage de collines granitiques des marges du Massif central, même omniprésence de l’eau avec les lacs de Haute-Charente, mêmes traditions linguistiques ou architecturales, même population plutôt âgée (voir ci-dessous)… Et surtout, un même isolement relatif qui rend d’autant plus utile la mise en place d’un projet partagé.

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plus de 65 ans 2014 PNR PL

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Articulée sur 15 orientations et une cinquantaine de mesures concrètes, la Charte actuelle du PNR (il s’agit du document où sont consignés les engagements et les chantiers du Parc, ses marqueurs identitaires en somme), paraît tout à fait compatible avec les spécificités charentaises. Mieux, les engagements esquissés dans la Charte semblent pour leur grande majorité déjà poursuivre des objectifs qui pourraient assez naturellement s’appliquer aux réalités territoriales de la Charente limousine. On peut penser au soutien actif à la variété limousine de la langue occitane qui historiquement est pratiquée dans tout le PNR… et à l’ouest jusqu’aux portes d’Angoulême. Citons aussi une certaine continuité hydrologique autour du « château d’eau » que constitue ce pays forestier, dernière terre des loups de souche française. Rappelons d’ailleurs que le Bandiat et la Tardoire, parmi les rares cours d’eau à irriguer les trois départements (avec la Dronne), avaient donné leur nom au projet de Parc, dans les années 1990, avant que « Périgord-Limousin » ne s’impose.

Enfin, l’armature de sites touristiques et patrimoniaux variés et de qualité qui habille le secteur (thermes gallo-romains de Cassinomagus, réserve naturelle nationale de l’impact météoritique de Rochechouart-Chassenon, lacs de Haute-Charente, vestiges de Marthon et Montbron…) gagnerait à intégrer un programme de valorisation porteur de synergies tel que l’est le projet PNR. Le lac de Lavaud et la réserve géologique de Rochechouart-Chassenon possèdent déjà une emprise partagée entre Haute-Vienne, labellisée, et Charente, en attente. L’extension du label PNR me paraît donc être une évidence, qui ferait bénéficier ces communes rurales d’un élan collectif et d’une image de marque. Les bourgs de Charente limousine – Chabanais, Roumazières-Loubert, Chasseneuil –, un à un soigneusement épargnés par la RN 141 dédoublée, y gagnant en air pur ce qu’ils perdent en fréquentation commerciale, pourraient peut-être aussi trouver un regain d’intérêt touristique dans cette nouvelle aventure.

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Le lac de Lavaud

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Le bocage charentais

En 2007 déjà, le Conseil régional de Poitou-Charentes avait signalé son soutien à l’inclusion de dix-huit communes charentaises au périmètre du Parc (voir ci-dessous), bénéficiant d’un avis favorable des instances dirigeantes du PNR, du Conseil général, et des régions Aquitaine et Limousin, avant que l’éventualité ne soit curieusement abandonnée, pour des raisons que je ne connais pas.

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Le prochain renouvellement de la charte du PNR est prévu en 2022, ce qui laisse quelques années aux responsables régionaux, et surtout aux forces vives du territoire (habitants, artisans et agriculteurs, élus locaux, acteurs du tourisme et de la culture…) pour mettre en œuvre un mouvement volontariste intégrant la Charente limousine au renouvellement de la charte. Le vote de la loi Biodiversité en 2016 pourrait même donner à la charte actuelle trois années supplémentaires de validité.

Il sera bon de rappeler qu’il est faux de penser qu’un PNR ne consiste qu’en une entité à visée uniquement touristique et ludique. Il s’agit bien d’un territoire de projets dans lequel élus, professionnels et habitants sont amenés à faire émerger des projets de développement appuyés sur les spécificités de leur territoire, où la création et le maintien d’emplois non-délocalisables occupent une place centrale. Il ne s’agit pas non plus d’un élément supplémentaire du fameux mille-feuilles institutionnel, avide de subsides et avare de retombées concrètes (n’en déplaise à Laurent Wauquiez qui a quant à lui sacrifié les projets de Parcs en Auvergne-Rhône-Alpes) ; les PNR sont depuis longtemps des espaces qui permettent justement aux enveloppes administratives de se décloisonner et aux décideurs de regarder vers l’extérieur et de s’inspirer des bonnes pratiques de leurs voisins. A ce titre, les Parcs situés dans les marges de leurs régions endossent une responsabilité toute spécifique. Le Parc du Marais Poitevin (entre Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine) ou le futur PNR de l’Aubrac (aux confins de l’Occitanie et d’Auvergne-Rhône-Alpes) sont de bons exemples prometteurs, qui entendent resserrer les liens et faire de ces périphéries des « cœurs ».

Entériner à l’échelle locale un projet commun de développement appuyé sur une cohérence géographique et culturelle, pour asseoir une entité régionale en quête de sens ; l’extension du PNR Périgord-Limousin à la Charente limousine semble donc toute trouvée. Valoriser le PNR comme cœur de la fusion, ce serait aussi rendre justice à des territoires ruraux qui sont en droit d’attendre beaucoup de cette nouvelle entité régionale surdimensionnée, et dont le XXIe siècle aurait tort de se passer.

Note : en écho à cette réflexion, j’ai choisi d’adresser dans les tous prochains jours un courrier faisant état de ma suggestion à plusieurs élus en charge de cette question :
- Nicolas Thierry, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine en charge de l’environnement et de la biodiversité ;
- Bernard Vauriac, maire de Saint-Jory-de-Chalais et président du PNR ;
- François Bonneau, président du Conseil départemental de la Charente ;
- Philippe Bouty, président de la Communauté de communes de Charente limousine.

Je ne manquerai pas de vous faire connaître les retours éventuels.

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Crédits photo : L.D. pour les photographies et la carte des communes ; Géoportail pour les extraits IGN ; Région Nouvelle-Aquitaine pour la carte touristique ; Collectif Arri pour la carte linguistique ; INSEE-Geoclip pour la carte démographique.

 




> Il faut sauver l’Université de Limoges !

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Capture d’écran 2016-07-12 à 13.48.44Cet article vient en réaction au communiqué de l’Université de Limoges, suite à la rupture unilatérale par le Conseil régional de Nouvelle Aquitaine du contrat qui la liait à l’institution limougeaude. C’est une menace particulièrement grave et inquiétante qui pèse sur l’avenir de l’Universitéde Limoges. En rompant de façon brutale et inattendue le contrat qui liait l’autorité régionale (ex-Limousin) à l’Université, la Région Nouvelle-Aquitaine met en péril l’existence-même d’une université autonome à Limoges.

Cette manière à peine avouée de consacrer la centralisation des fonctions de commandement dans la capitale régionale, pourtant déjà richement pourvue et s’étant taillée avec la réforme territoriale la part du lion en termes de services et directions, semble faire triste écho aux funestes propositions de France Stratégie, qui a dans son dernier rapport avoué préconiser un soutien massif aux métropoles au détriment des espaces en difficulté. Cette approche serait – selon cet organisme – la seule à même d’assurer un développement global des territoires, en misant sur les plus grandes agglomérations. Une prise de position inquiétante. Dans un contexte de mondialisation débridée, à l’heure où les discours ultra-libéraux semblent retrouver une certaine audience, ces décisions sont tout bonnement lâches et mortifères.

Lâches car elles se rangent de façon honteusement simpliste, au nom de l’idéologie du pragmatisme, derrière l’idée que les Universités sont des pôles de développement hors-sol, et qu’elles profitent avant tout à une économie des échanges dématérialisés, plus qu’aux territoires. Ce qui est faux : on a pu prouver que la déterritorialisation des flux et des politiques était une chimère et que les nouvelles technologies devaient favoriser la prise en compte et la gestion des différentiels de développement, et non les occulter. À ce sujet, les responsables politiques, au moins autant que les personnels universitaires, ont une immense responsabilité dans cette stratégie. Que répondent les élus limousins à cette décision ? Et surtout, que comptent-ils faire pour sauver l’Université de Limoges ? Les menaces ne datent pourtant pas d’hier ! On est également en droit se demander quelle est la marge de manoeuvre des personnes universitaires locaux. Il est plus que jamais de leur devoir de mobiliser l’attention des citoyens sur les conséquences catastrophiques d’une disparition programmée de l’Université de Limoges. L’institution universitaire française doit encore davantage s’ouvrir au grand public local, impérieuse condition de sa survie.

Mortifères car estimer que les Universités peuvent vivre hors-sol, est à la fois suicidaire pour ces institutions et dramatique pour les territoires qui les abritent : les Universités sont les laboratoires d’innovation des entreprises qui les entourent ! Elles sont de formidables vitrines des savoir-faire locaux à l’échelle nationale et internationale ! Elles doivent avoir des missions d’intérêt général sur les territoires proches les plus vulnérables. Et sans le soutien des responsables politiques et la mise en place par ces derniers de mesures de développement territorial efficaces, l’Université dépérit. C’est le sens des autres déclarations que l’Université a formulées en faveur du passage de Limoges Métropole en communauté urbaine, et de l’amélioration sensible de la relation ferroviaire avec Paris.

Ne privons pas nos communes, nos départements des atouts de la recherche universitaire : aucun retour en arrière ne sera possible.

Photo : Antenne centre-ville de la fac de droit, L. D., 2014.




> A choisir, une Aquitaine « grande » plus que « nouvelle »

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Et voilà qu’une pétition refusant le nom de « Nouvelle Aquitaine » pour notre grande région, rencontrerait un grand succès sur Internet. Je ne l’ai pas signée. Et pour cause : je pense que deux combats se mélangent dans cet argumentaire, et que ne pas le reconnaître serait faire preuve d’une précipitation contre-productive.

Pour autant, j’ai hésité à y ajouter mon nom, car je comprends tout à fait les revendications des signataires de la pétition, qui voient dans ce nouveau nom une validation de la velléité expansionniste de l’ancienne région administrative Aquitaine, et derrière-elle les prétentions de quelques notables bordelais désireux de faire du Limousin et de Poitou-Charentes un « arrière-pays (si possible) dynamique ». En vérité, au-delà du nom, les craintes exprimées renvoient davantage aux motivations et aux effets potentiels et profonds de cette réforme territoriale bien bancale. Pour rappel, sans concertation aucune, sans justification économique et géographique satisfaisante, le Gouvernement, en accord avec quelques barons locaux, a consacré un redécoupage hasardeux et inégal sous prétexte tacite qu’il lui faudrait bien laisser son empreinte dans les livres d’Histoire (G. Vandenbroucke lui-même a très tôt estimé que l’argument des économies de fonctionnement, initialement avancé, était fallacieux).

Les signataires de la pétition ont raison de s’interroger quant aux effets de la fusion, tant l’impréparation a conduit cette opération plus médiatique que bénéfique. Cependant, je pense qu’il est désormais grand temps de donner toutes ses chances à cette fusion des régions, et croire aux bonnes volontés apparentes des élus régionaux démocratiquement désignés en décembre dernier. Je le reconnais, c’est un brin inconfortable et moralement critiquable, mais avons-nous d’autre choix que celui d’une confiance vigilante ?

Venons-en au nom, car celui-ci n’est pas qu’un prétexte, il est un sujet en soi.

Je remarque que la pétition ne défend aucune dénomination alternative, mais je ne doute pas que derrière cette omission, plus fédératrice, se cachent certaines des propositions présentées au printemps dans le cadre du vote indicatif en ligne sur magranderegion.fr. Je pense en particulier à « Sud Ouest Atlantique », pour lequel Jean-Paul Denanot vient d’ailleurs de prendre position sur Facebook, et qui hélas me paraîtrait consacrer de façon flagrante la victoire du marketing sur l’ancrage territorial et le territoire vécu (comment nommerait-on les habitants ?). Étonnant quand on se souvient que la petite taille et le nom de notre Limousin n’ont semble-t-il jamais posé souci sur la scène européenne, comme le martelait Robert Savy et comme a dû s’en rendre compte son successeur à la présidence de région. M. Denanot ne pense-t-il pas qu’il existe des alternatives à ces deux faux bons choix ?

« Aquitaine », choix défendu par la Rencontre des historiens du Limousin, m’a paru initialement plutôt pertinent : rappelons une nouvelle fois que le terme d’ « Aquitaine » existait bien avant que la région administrative du même nom ne se le voie réservé il y a un demi-siècle, qu’il englobait le Poitou, les Charentes, le Limousin (et même jusqu’à l’Auvergne), et que ce choix allait même jusqu’à rendre justice sans le dire trop fort à Limoges, cité où furent couronnés les ducs d’Aquitaine. Cependant, je pense avoir réalisé que la pertinence historique, fut-elle scientifiquement et culturellement indéniable, ne saurait à elle-seule justifier le choix d’un toponyme contemporain et susciter l’adhésion du plus grand nombre. Nous autres, habitants du XXIe siècle, n’avons-nous pas d’ailleurs, dans ce bouleversement historique qu’est la réforme territoriale, un droit à la re-création toponymique ? C’est peut-être à tort que nous nous sentons dépossédés par cette « Aquitaine » (encore une fois, c’était ce que je disais précédemment, « Aquitaine » nous appartient à tous), mais ce sentiment, parce qu’il est légitime, ne peut-il pas justifier le choix d’un véritable nouveau nom ?

Ainsi, « Aquitaine » ne peut apparemment servir de dénominateur commun ; l’imposer serait amplifier la fronde. Je crains toutefois que « Nouvelle-Aquitaine » ne soit pas mieux.

Vous allez me dire girouette, mais j’ai dans un second temps pensé que « Nouvelle-Aquitaine » ne serait pas si mal : on nuançait l’annexion en associant l’historicité d’ « Aquitaine » à l’avenir, on voulait ouvrir une page commune aux territoires nouvellement associés. Mais voilà, le mot « Nouvelle » aura été pris pour une tentative de gommage de l’ancien, du passé, de la mémoire. Dans le contexte que nous traversons, ce serait difficile à accepter. Imposer un « nouveau » est d’ailleurs souvent douteux ; cela cache souvent un malaise, une difficulté à gérer un moment, un passage, sinon une fébrilité à transformer une promesse en réussite (ne me demandez pas pourquoi, je pense d’un coup au « Nouveau Parti Anticapitaliste »). Se dire « nouveau » ne suffit pas à engager un nouvel élan. Sans compter que cette appellation ne peut se prévaloir elle seule d’un assentiment collectif, si l’on se réfère au vote en ligne qui plaçait en tête Aquitaine aux côtés de ses dérivés, sans préférence explicite à « Nouvelle-Aquitaine ».

En outre, je m’étonne que plusieurs aient fait observer que la Nouvelle-Zélande ou la Nouvelle-Calédonie, avaient continué d’exister sous ces noms même des siècles après leur baptême. C’est juste. Mais si ces appellations sont bien entendu aujourd’hui tout à fait rentrées dans notre vocabulaire et ne souffrent a priori plus aucune contestation – qui se souvient que la Nouvelle-Calédonie doit son nom par la similitude apparente de ses paysages avec ceux de l’Ecosse ? – doit-on rappeler qu’elles ont toutes été le fruit de conquêtes ou explorations à visées coloniales ? Je ne tiens pas ici à relancer le glissant débat sur les bienfaits hypothétiques de la colonisation, mais justifier le choix de « Nouvelle Aquitaine » en invoquant ces exemples me semble au moins aussi discutable que d’en appeler au « Sud-Ouest Atlantique » au nom de la visibilité internationale. Parler de « Nouvelle Aquitaine » reviendrait à faire du Limousin et de Poitou-Charentes une découverte des explorateurs bordelais ?! On aurait cherché à prouver qu’annexion il n’y avait pas, c’eût été raté. Paf, tout est à refaire.

Pour autant, par quoi d’autre pouvons-nous remplacer l’indigeste « ALPC », heureusement provisoire, pour qualifier au mieux notre grand territoire ? Je n’ai pas de proposition miraculeuse. Cependant, ne parlons-nous pas de « grande région » depuis des mois pour qualifier ce grand territoire ? N’est-ce pas dans sa grandeur que la région saura tous nous accueillir, nous réunir ?

« Grande Aquitaine », voilà un terme qui fait de Limousin et de Poitou-Charentes les facteurs de transformation de la simple Aquitaine en une grande région solidaire et fédératrice. Sans l’un de ses trois piliers, ALPC serait vraiment « à poil », boiteuse, une sorte de « moyenne région » en somme. Alors osons affirmer cette grandeur, qui sera autant celle des plages atlantiques, des forêts limousines, des montagnes pyrénéennes, que celle de nos ambitions et de notre souci d’avancer ensemble…

« Aquitaine » n’était pas tenable.
« Nouvelle-Aquitaine » ? Bof.
« Sud-Ouest Atlantique », laissons-ça au tourisme (à la rigueur).
Je vote – non sans réserves – pour « Grande Aquitaine ».

Et comme l’a présenté de façon humoristique le site buzzfeed, le Limousin n’aura pas besoin d’exister en tant qu’appellation administrative officielle pour continuer à exister en tant que territoire culturel, social et politique ! Pour finir, voilà quatre choix emblématiques, plus ou moins symboliques, qui me semblent essentiels pour concrétiser cet espoir et dissiper les malentendus :

  • nommer une grande rue de Limoges « avenue du Limousin » ;
  • exiger jusqu’au bout que la DRAF soit bien installée à Limoges ;
  • engager une véritable réflexion sur la modernisation d’un triangle ferroviaire Bordeaux-Limoges-Poitiers ;
  • préparer un projet d’extension du Parc naturel régional Périgord-Limousin au département voisin de la Charente, pour que le point d’intersection des trois anciennes régions passe du statut de pôle d’inaccessibilité à celui de point de convergence (j’y reviendrai).

« Grande Aquitaine », un terme qui chiffonnera peut-être les historiens, mais qui me semble à ce jour le plus à même de concilier nos mémoires contrariées et nos consciences échaudées.

Crédit photo : captures Google Street View, panneaux d’entrée des régions Aquitaine (sur l’A89 en venant de Brive), Limousin (sur la RN 141 en venant d’Angoulême) et Poitou-Charentes (sur l’A83 en venant de Nantes).




> Penser collectivement la démocratie dans l’aménagement des territoires

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cist2016_afficheJe participais ces deux derniers jours, au titre de mon travail au sein du département de géographie de l’université de Genève, au 3e colloque du Collège international des sciences du territoire (CIST), intitulé pour cette édition « En quête de territoire(s) ? », à la Cité des territoires de l’Université de Grenoble Alpes. Enseignants-chercheurs, doctorants, mais aussi techniciens, élus, animateurs du territoire se donnaient rendez-vous autour d’une multitude de présentations et débats consacrés à l’avenir des territoires et notamment aux défis de gouvernance qui se posent à eux. « Comment assurer la bonne marche de notre démocratie dans les projets d’aménagement ? » ; telle pouvait être la formule-maîtresse de ce rendez-vous qui avait le mérite de réunir les universitaires autour d’enjeux concrets d’intérêt général, bien loin de la caricature contemplative et profiteuse à laquelle on les a parfois hélas assignés.

L’occasion pour moi de contribuer à une réflexion personnelle sur deux engagements. L’un associatif, celui de l’association 55 citoyens pour Limoges au sein de laquelle nous nous efforçons de réfléchir à de nouvelles manières d’agir ensemble avec les citoyens « sans statut » pour une plus grande acceptabilité des projets publics. L’autre plus personnel, à savoir la détermination et l’affinement de mon projet professionnel, à l’heure où jamais je n’ai tant hésité entre un projet de thèse et un engagement plus direct dans le monde du travail autour des questions d’aménagement, justement. Viendra bien vite le temps du choix.

Parmi les interventions auxquelles j’ai pu assister, je retiendrai, pour les plus passionnantes :

  • Celle d’Arnaud Brennetot et Michel Bussi (« Une géographie impliquée en faveur de la réforme territoriale : l’exemple du  »groupe des 15 » en Normandie »), qui ont contribué à mettre en place dans cette région un collectif transgénérationnel et relativement médiatique de géographes engagés dans le débat sur la réforme territoriale et résolus à le rendre public au sens premier du terme. Un moyen de prouver que la participation des chercheurs au débat public peut s’effectuer au niveau local, que l’aide à la décision publique peut aussi passer par des engagements de la société civile, mais aussi de souligner les limites de ces mobilisations (quel effet dans le temps ? quelle marge de manœuvre ?)

 

  • Celle de Christophe Parnet (« La métropole comme demande politique locale de territoire : le cas de Lyon »), qui a souligné combien la création de la Métropole de Lyon s’était faite dans le plus grand secret, comme effet de relations de pouvoir, par simple accord entre deux hauts responsables politiques locaux, en cela largement aidé par le cumul des mandats permettant aux élus municipaux de faire valoir leur projet en tant que sénateurs, qu’ils sont aussi ;

 

 

 

 

  • Celle de Claudy Lebreton, ancien président de l’Assemblée des départements de France, à la tête du département des Côtes-d’Armor jusqu’en 2015, qui s’est vu confier par le gouvernements deux rapports sur le rôle du numérique dans l’avenir des territoires, puis sur la nécessaire réforme de la politique d’aménagement du territoire en France (davantage de démocratie notamment !), et plaidant en faveur d’une véritable décentralisation ;

 

  • Et enfin, l’atelier en deux parties consacré au quartier populaire de La Villeneuve. Ce quartier prioritaire, à cheval sur les communes de Grenoble et Echirolles, tristement médiatisé en 2010 après plusieurs heurts ayant conduit à la mort d’un jeune du quartier et au triste discours ultra-sécuritaire de Nicolas Sarkozy, a fait l’objet dans la foulée d’un premier projet de rénovation contesté par les habitants en raison de son aspect assez directif et imposé sans réelle concertation. La mobilisation d’un tissu associatif et social dynamique, l’arrivée en 2014 d’une nouvelle équipe municipale menée par l’écologiste Eric Piolle, et surtout le concours des universitaires grenoblois (géographes, urbanistes, architectes…) ont permis l’émergence d’un nouveau projet, très largement porté par un impératif de co-construction et d’empowerment (autrement dit de transfert de compétences et de dialogue mutuel et horizontal entre riverains-usagers, décideurs et experts). Une démarche extrêmement intéressante, qui réinterroge profondément les manières de faire les territoires en France, mais qui pointe aussi l’inégalité des territoires face aux moyens de faire émerger les solutions. En effet, m’est venue une réflexion : s’il n’est évidemment pas question de remettre en cause les difficultés traversées par le quartier ces dernières années (au contraire), l’attention médiatique et la dureté des épreuves récentes n’ont-elles pas favorisé une solidarité locale tout-à-fait vertueuse ?
    Par un discours extrêmement volontaire, l’institution académique grenobloise réaffirme sa responsabilité sociétale de ne pas se contenter de faire des recherches « sur », mais aussi de faire des recherches « avec », au service du territoire sur lequel elle exerce et des habitants qui l’entourent, notamment en ouvrant ses murs à la population via un tiers-lieu. Mais que peuvent faire les villes qui n’ont pas la chance de posséder d’écoles d’urbanistes et d’architectes* ? Dont les décideurs locaux, tristement défensifs et méfiants, demeurent hermétiques à la valeur de l’expertise d’usage dont les habitants sont les détenteurs ? Dont les techniciens, abandonnés à leurs réflexes corporatistes et technocratiques en l’absence de volontés publiques de les ouvrir à la société civile, restent arc-boutés sur leur certitudes ?

 

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En somme, il s’agit de se demander si La Villeneuve, malgré un lourd héritage, n’a pas aussi pu compter sur un contexte favorable à la construction d’une réflexion commune (élus, chercheurs, citoyens…), contexte dont tous les quartiers ne peuvent bénéficier. Pour favoriser l’égalité des chances de tous les territoires face à ces défis, l’Etat, plutôt que de freiner des quatre fers, n’aurait-il pas à assumer son rôle d’acteur majeur du renouvellement des modes de gouvernance en assumant une fonction d’incitateur et de facilitateur des démarches locales de co-construction ? D’autres impératifs m’ont empêché d’assister à la fin des débats, mais je ne doute pas que des compte-rendus constructifs en seront tirés. Alors peut-être pourrai-je complètement prendre la mesure de cette contribution au débat sur le devenir nécessaire de la participation citoyenne à l’aménagement du territoire. La diversité et la qualité des présentations durant ce Colloque permettait au moins de saisir combien la recherche universitaire a toute sa part à prendre dans la mise en place de solutions d’intérêt général.

* Je me souviens ici d’un enseignement tiré d’une exposition sur les projets architecturaux à Limoges en 2010, où l’organisatrice reconnaissait le rôle capital de l’institution d’enseignement dans l’émergence de projets au service de la ville où elle réside.

Crédit photo : CIST 2016, @reseau_urbain




> Revue littéraire : Régions à la découpe, de P. Orcier

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À la toute fin 2015, alors que l’on s’apprêtait à élire les premiers élus de nos régions redécoupées, paraissait un petit ouvrage original, Régions à la découpe. Ce livre signé Pascal Orcier, est en fait un atlas – et c’est en ce sens qu’il est très accessible –, riche de très nombreuses cartes présentant les innombrables découpages que notre pays a subi ou aurait pu subir.

Venu ponctuer près de deux années de débats houleux sur le découpage des nouvelles régions, son bien fondé et ses effets supposés, ce petit opuscule ne cherche toutefois pas spécialement à montrer en quoi la dernière réforme territoriale aurait pu s’organiser autrement (l’auteur ose tout juste présenter une proposition alternative en fin d’ouvrage).

Il s’agit en vérité de la relativiser en la replaçant dans un contexte historique de dizaines de découpages successifs, non sans un brin de sentimentalisme il est vrai, avec ces belles cartes colorées qui rappellent les tableaux d’école. Il s’agit aussi de comparer cette dernière réforme aux découpages imaginés par des acteurs plus discrets mais tout autant prégnants dans notre quotidien, comme les chercheurs mais aussi les entreprises. Si ce n’est pas une belle preuve de l’invalidité de la théorie un temps consacrée des ultra-libéraux qui pensaient que la mondialisation signerait la fin des territoires ! Car dans les faits, l’homme spatial (coucou Lussault) ne peut s’empêcher de découper et recouper son environnement duquel il entend extraire la légitimité de son pouvoir, et sur lequel il doit structurer sa présence pour optimiser son action. N’est-on pas l’élu d’un groupe, donc d’une circonscription, d’une entité, avant d’être un représentant légitime de la République ? Un commercial ne cherche-t-il pas à rationaliser l’écoulement de sa production sur une aire de chalandise adaptée à ses moyens ? Un écologue peut-il vraiment prétendre gérer des milliers de kilomètres carrés d’espaces naturels sans se passer d’un découpage qui bornera l’aire d’autorité de son expertise vis-à-vis de son homologue et voisin ? Les législations, les autorités, les finances s’appuient bien sur des cadres délimités.

Le livre se « découpe » en quatre parties. La première, conventionnelle, est consacrée à la construction de notre territoire national. On apprendra sans doute peu de choses, mais on prendra conscience que le Limousin était déjà Aquitain du temps des Gaulois, et on ne se lassera pas de la carte des 130 départements français du Premier Empire, où Rome, Hambourg, Amsterdam et Barcelone étaient comme Limoges, Tulle ou Guéret, des préfectures de départements. La deuxième fait non sans nostalgie la part belle à nos aires culturelles (langue, gastronomie, architecture, éducation, politique). La troisième, cœur du propos, passe en détail tous les découpages délibérés et institutionnels. Outre les découpages administratifs de base, on en connaît un certain nombre : au détour des panneaux, des courriers officiels et des attentes téléphoniques, on a dû déjà se rendre compte que l’on donnait son sang en Aquitaine-Limousin, que nos finances publiques étaient vérifiées en Centre-Limousin, que notre compte Caisse d’Epargne était Auvergnat-Limousin. La dernière, celle des utopies, évoque certaines idées jamais concrétisées, des projets révolutionnaires au rapport Balladur, nous apprenant par exemple que le géographe Jean-Marie Miossec rêvait pas plus tard qu’en 2008 d’un projet intéressant de redécoupage égalitariste des régions mais aussi des départements, qui aurait rattaché la Charente limousine, le Lot et la Dordogne au Limousin (tiens tiens, j’avais presque esquissé l’idée il y a sept ans).

Si les petits commentaires de l’auteur, en bas de chaque carte, éclairent le contexte et les raisons de tel ou tel découpage, un petit regret, du moins se plait-on à en rêver : on serait tout de même bien content d’avoir à côté de chaque carte le témoignage du responsable du découpage en question venant justifier et défendre son bricolage ! Ici la direction de Système U qui rapproche la Haute-Vienne du grand Sud, là celle de Casino qui nous place en Vallée du Rhône, ou bien les éditeurs du guide Michelin qui nous ont toujours unis au Berry. Entre projections économistes, nostalgiques et visionnaires, peut-être comprendrait-on davantage quelles sont les valeurs, les idéologies et les représentations qui, au-delà de la chimère du « rationnel » et de l’ « objectif », rabâchée à longueur d’interviews télévisées, animent nos décideurs.

On apprendra enfin que, concernant notre nouvelle grande région, quelques-uns semblent en avoir anticipé les contours : les autorités de la IVe République avec leurs régions économiques de 1948, l’administration pénitentiaire et les éditions Hachette, qui sont les trois acteurs présentés dans l’ouvrage dont le découpage prenait déjà la forme de la région ALPC !

Régions à la découpe intéressera tous ceux que le grand cirque de la dernière réforme territoriale a passionné, mais aussi tous ceux qui aiment se poser des questions sur la justification de telle ou telle limite. Y apporter des réponses, voire, mais puisse cet ouvrage au moins contribuer à entretenir notre curiosité collective, et placer un peu de géographie entre les mains de chacun.

Photo : L.D., 2016

Régions à la découpe, de Pascal Orcier, Atlande, 143 pages (19 €)
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