
Pour cette première journée pendant laquelle François Hollande a officiellement revêtu les habits officiels de candidat du PS pour l’élection présidentielle de 2012 (il était l’invité du 20h de TF1), j’ai choisi de sortir de la vapeur quelque peu étouffante du bouillonnement médiatique franco-français pour prendre du recul à l’étranger. Retour sur les publications de la presse internationale de ces derniers mois, jours et heures sur le processus des primaires et la désignation de François Hollande.
La crainte du retour de la « machine à perdre » ?
Il faut le dire, la presse internationale avait parfois manqué de tendresse et fait part d’un franc scepticisme à l’égard de l’organisation des Primaires socialistes. Du moins au début. Le quotidien italien Le Corriere della Serra (centre-gauche), comme l’hebdomadaire burkinabé L’Observateur paalga brandissaient en début d’année le spectre de la fameuse « machine à perdre », qui a ressurgi en mai avec l’affaire DSK. L’un prédisant par la douloureuse expression de « vocation au suicide » des primaires les déchirements, qui de l’autre côté des Alpes ont été entre autres facteurs de déliquescence de ce qu’il y reste de gauche. L’autre faisant allusion aux scalps des Indiens d’Amérique rivaux. Rien que ça. De façon moins sanglante, le quotidien belge francophone La Libre Belgique s’inquiétait en juin dernier que le processus se transforme en « sac de nœuds ». Le journaliste indépendant britannique Tim King, quant à lui, était allé jusqu’à imaginer ce qui se passerait « le jour où le PS [imploserait] » après son élimination par Nicolas Sarkozy en mai 2012. Tout un programme, dont nous nous passerions bien dans les faits. Gageons que la forte participation aux élections primaires et les appels au soutien sans équivoque et au rassemblement derrière le candidat démocratiquement désigné sauront éviter la catastrophe prédite pour la gauche de gouvernement, en mal de victoires présidentielles.
Aubry/Hollande, ou la victoire des vieux archaïques sur un jeune réaliste (Valls) ?
En ce qui concerne la teneur des débats et des propositions des prétendants à la fonction suprême, on se souvient notamment de l’analyse de The Economist. L’hebdomadaire britannique ne trouvait qu’en les arguments du libéral-socialiste Manuel Valls, « jeunot au pays des dinosaures », les réponses cohérentes à l’éprouvant contexte socio-économique, et rabrouait fermement le PS français, « l’un des plus archaïques d’Europe », raillant au passage et sur fond légèrement « francosceptique » l’interdiction des stock-options proposée par Ségolène Royal, ironiquement présentée c
omme « modérée ». Arnaud Montebourg, chantre de l’hypothétique démondialisation proposée dans le cadre d’une « bucolique fête de village » [comprenez la fête de la Rose de Frangy-en-Bresse] et vu d’un mauvais œil par la presse suisse en raison de ses positions sur la fiscalité, François Hollande et Martine Aubry et leurs propositions « figées dans le temps » en prenaient également pour leur grade, dans ce qui ressemblait à une opération de décrédibilisation d’un parti qui il est vrai n’a pas effectué la mue (pas forcément à tort, entendons-nous) qu’a suivi le Labour depuis l’ère Blair. On aimerait bien savoir ce que les journalistes de The Economist trouveront à dire pour commenter le ralliement du jeunot aux dinosaures. Toutefois, on n’en attendait pas davantage du titre de presse libéral.
Les primaires, un tremplin bien français contre la présidence bling-bling ?
Ces critiques à peine voilées ont été masquées par plusieurs voix discordantes. De plus en plus nombreuses, face sans aucun doute au réel engouement des citoyens français vis-à-vis de cette procédure jugée moderne par des politiciens de tous bords. Ainsi, la journaliste suisse Catherine Dubouloz, qui il y a dix jours dans Le Temps estimait que la procédure s’était « transformée en formidable tribune pour la gauche », ayant « tout pour se transformer en machine à gagner », mettait en évidence l’intérêt manifeste qu’y porte une partie de l’UMP, qui sera sans doute contrainte de recourir à ce système pour « départager la légion de [ses] candidats [annoncés] ». Sur un ton logiquement moins acerbe que The Economist, à travers un article énumérant avec sérieux et lucidité les différences des candidats socialistes, en juin dernier, The Guardian (catalogué au centre-gauche Outre-Manche), voulait croire non sans espoir « partisan » en la capacité de la « rose » à incarner l’avenir et donc en une renaissance de la gauche française, confortant ainsi notre nation dans « son rôle de pays à part » et mettant fin aux pratiques « donquichottesques » et « diviseuses » (!) de l’actuelle gouvernance. Pêle-mêle encore, Joëlle Meskens, correspondante du quotidien belge Le Soir assurait que la politique serait quoi qu’il en soit vainqueur des Primaires, mais que le PS devait se garder de sombrer dans l’euphorie démobilisatrice. La Tribune de Genève s’émerveillait du chiffre de la participation et voyait dans ce succès une « [ringardisation] » d’une UMP pseudo-moderne. The Guardian notait la bonne tenue et le calme des prétendants durant les débats, et estimait que le PS affaibli depuis la défaite de Lionel Jospin en 2002 s’en trouvait ragaillardi. El País (centre-gauche espagnol) a apprécié « l’échange constructif d’idées ». La palme revenant sans doute au bimestriel américain Foreign Policy, qui n’a pas manqué de moquer la filiation avec leur nation dont ont pu se réclamer certains représentants de la droite, candidat Sarkozy en tête, alors que ce sont bien les socialistes qui ont le mieux fait part de leur inspiration venue d’Outre-Atlantique par l’organisation de ces élections primaires.
Hollande, une « normalité rationnelle » ?
A l’aube du second tour, le quotidien québécois Le Devoir soulignait déjà de façon prémonitoire l’exploit que réaliserait en s’imposant le député de Corrèze avec ses airs de « collégien blagueur », après avoir joué de cette image d’élu de la France profonde soutenu par les quartiers populaires et opposé jusqu’au printemps au « jet setter » qu’est DSK puis à la défenseure du multiculturalisme et de l’ouverture aux autres partis de gauche qu’est Martine Aubry. En ce qui concerne le dénouement d’hier, si El Periódico de Catalunya (qui ne pariait sur une victoire d’Hollande, le « brillant sans éclat », qu’en cas de défection de DSK !) est sans doute surpris de la victoire finale de François Hollande, c’est sans doute moins le cas du Süddeutsche Zeitung qui en janvier dernier, tout en louant dans une comparaison faite entre la chancelière Merkel et Martine Aubry les efforts et qualités de cette dernière, se demandait comment, avec ses tendances à chercher l’alliance avec des « partis très à gauche », elle pourrait incarner avec efficacité l’aile française du couple moteur de l’UE. En Belgique francophone, l’agence de presse Belga avait recueilli la préférence des principaux leaders socialistes, qui sollicitaient particulièrement leur voisine Martine Aubry, Rudy Demotte, ministre-président de Wallonie, mettant en avant la collaboration étroite mise en place au sein de l’Eurométropole Lille-Courtrai-Tournai. Mais leur « choix de raison » était davantage François Hollande.
Pas nécessairement euphorique, la grande majorité des titres étrangers s’accorde néanmoins à saluer si ce n’est féliciter la performance d’un candidat de l’ombre peu médiatisé et le score sans appel qu’a obtenu François Hollande. Un score qui ne lui sera pas inutile dans la perspective de mettre un terme à la présidence Sarkozy, globalement critiquée. The Guardian se demandait si la victoire d’un « Monsieur Normal » n’était pas « ce dont la France [avait] besoin » pour mettre fin à cinq années de « psychodrame », tandis qu’El País, parlant de « l’académique » M. Hollande, jugeait ce dernier comme étant un des plus contrastés face à « l’hyperactif et imprévisible Sarkozy ». The New York Times évoque un homme « spirituel » qui devra s’évertuer à faire oublier son inexpérience politique. L’hebdomadaire allemand Der Spiegel reconnaissait en le vainqueur de la primaire un homme « amical, sociable, discret », en somme « peu complexe », mais semble s’interroger sur la capacité du socialiste à transcender les foules. Cette nouvelle campagne présidentielle devra prouver que l’ère de la surexcitation est révolue, et qu’il n’est nul besoin d’être excessif pour prouver sa détermination. Quoi qu’il en soit, l’importance capitale de cette échéance pour l’avenir même de la gauche française n’a pas échappé au New York Times, qui se demande si la gestion de la Corrèze est une assez bonne entrée en matière pour le postulant à l’Élysée, et qui comprend bien qu’une nouvelle défaite causerait une dramatique et considérable bagarre interne au PS.
En revanche, quelques nuances en ce qui concerne les qualifications de la personnalité même de l’ex-premier secrétaire du PS, « grand naïf au regard de chien fidèle », volontaire et « [parlant] bien » mais peut-être trop lisse pour le journal autrichien Der Standard comme pour le quotidien de gauche néerlandais De Volkskrant Quelques titres étrangers ont presque autant retenu l’humour corrézien du vieux lion Chirac sur sa volonté avérée ou non de voter Hollande en 2012, que les propositions de ce dernier, jugées « pas très claires » par The Guardian. La palme revient sans conteste au quotidien helvète 24 Heures, qui filant la métaphore rugbystique, compare « sales gosses » du XV de France et socialistes et leurs sympathisants ayant rendu « illogique » l’issue de la primaire. Et d’évoquer Chirac et Mitterrand et leurs nombreux échecs précédant une victoire tardive. Le tout sur fond patent de parisianisme (Hollande décrit comme un « politicien parti s’enterrer en Corrèze » opposé à la maire de Lille qui « se coltine les réalités d’une grande métropole »), comble pour une publication suisse. On préfèrera oublier. Et espérer que François Hollande n’aura besoin que d’une seule tentative pour déloger Nicolas Sarkozy de l’Elysée. Et garder les yeux et l’esprit, déterminés et résolus, vers une troisième mi-temps sérieuse et constructive, aboutissant à une victoire salutaire.
Sources : www.courrierinternational.com, www.nytimes.com, www.lalibre.be et www.letemps.ch
Lien : La présidentielle vue depuis Bruxelles
Dessins : Khalid, dessinateur marocain (pour Courrier International), Aubrande et Holly sur le blog de Jérôme Choain.
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