> Vers un label Capitale française de la culture ?

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L’ancien directeur du festival d’Avignon, Bernard Faivre d’Arcier, défend dans une tribune parue dans Télérama le principe d’une « Capitale française de la culture » tous les deux ou trois ans. Un concept qui paraît éculé et qui pourtant me semble prometteur, s’il peut concerner les villes de moins de 200 000 habitants, s’il encourage bien un mouvement de décentralisation culturelle et politique, s’il associe les universités et le monde de l’entreprise, et s’il permet une juste participation du grand public à un événement dans lequel il pourrait se retrouver et trouver fierté et reconnaissance. N’est-ce pas aussi un peu le rôle de la culture ?

Alors que le magazine prépare cette année ces « Etats généreux de la Culture », grand débat se voulant participatif devant énoncer des priorités en matière d’accès à la culture et de démocratisation de sa gouvernance, cette idée est a priori un peu tarte à la crème tant le concept des nouveaux labels semblait avoir été éprouvé. À titre d’exemple, je crains que l’inflation des métropoles labellisées French Tech ne soit qu’un gage donné aux « petites » métropoles qui ont peu face aux grandes qui ont déjà beaucoup.

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Les agglomérations susceptibles de candidater. (Carte : L.D., 2016).

Ici toutefois, le concept est différent, et c’est ce qui me convainc. L’idée d’une Capitale française tous les deux ou trois ans, dans une ville de 100 ou 200 000 habitants, me paraît garantir l’attention sur un écosystème particulier à chaque fois, limitant ainsi les effets pervers d’une féroce concurrence. Et ce concept me semble tout à fait pertinent dans une stratégie de rééquilibrage territorial à rebours des positions anti-rurales ambiantes, comme dans l’optique d’une réconciliation nationale autour d’un projet collectif et positif, générateur de retombées économiques comme d’émulation intellectuelle.

Au moins trois constats ou positions retiennent mon attention et me font adhérer à la démarche :

  • le fait que l’argumentation prenne acte de la sur-représentation parisienne dans les grands projets événementiels auxquels la France candidate (JO, Expo universelle) et dans les grands projets d’aménagement d’intérêt national (Grand Paris). Voilà enfin l’occasion de valider et prolonger le timide élan de décentralisation culturelle enclenché par le Louvre-Lens et le Centre Pompidou-Metz. Ici, on irait plus loin en inscrivant au cœur des petites et moyennes métropoles de province un événement fédérateur susceptible d’attirer attention et investissements pérennes. L’enjeu est majeur pour un système de décision culturelle qui, peut-être encore davantage que les systèmes politique ou économique, souffre d’un réel parisianisme. Alors, dans cet élan, peut-être pourrait-on penser qu’un nouveau mouvement de décentralisation, moins matériel et plus « philosophique », toucherait de façon salutaire les élites de notre pays. Nous pouvons l’espérer : l’un des critères du projet est d’associer un grand équipement culturel parisien à la candidature provinciale.
  • Organiser un événement susceptible de rassembler entreprises, universités et institutions publiques dans un territoire où, modeste taille oblige, les connexions ne sont pas forcément aussi efficaces que dans les plus grandes villes. Outre le fait qu’il rende justice aux collectivités volontaires dans le domaine de la culture en donnant une visibilité nationale voire européenne à leurs projets, il permettrait d’associer l’ensemble des « forces vives du territoire » à cette dynamique. N’est-ce pas le meilleur moyen de lutter contre les préjugés et de contrer les tristes perspectives qui s’annoncent pour nos universités ? N’est-ce pas un bel appel aux investissements ? Un territoire qui valorise la culture est un territoire accueillant !
  • Le fait que parmi les critères d’éligibilité, interviennent la « durabilité » ou la « participation citoyenne ». Des critères éminemment importants en ces temps troubles où les incertitudes se multiplient autant sur notre capacité à anticiper l’avenir que sur notre volonté de renouveler en profondeur notre démocratie bien fatiguée. C’est à ce titre que le concept de Capitale française de la culture diffère des Capitales européennes de la Culture : en ne soumettant pas la relation de proximité et les effets sur le long terme à l’idéal de rayonnement et à l’effervescence de la fête.

Il s’agira toutefois d’être prudent. En plus de ne pas tomber dans la surenchère financière, il conviendra également et impérativement de prévenir les autres potentielles dérives des grands événements culturels, qui d’ailleurs bien souvent ne sont pas étrangères aux dérapages budgétaires : entre-soi favorisant l’exclusion et le cloisonnement social, privilège des grands noms au détriment des créateurs locaux, usage d’un marketing débridé, infrastructures et investissements sans lendemains ni réutilisation possible, sur-domination de l’urbain dans les projets et territoires mobilisés (Marseille-Provence 2013 avait cependant réussi à intégrer l’ensemble des Bouches-du-Rhône dans son dispositif, notamment par le biais d’une grande randonnée périurbaine).

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Enfin, il me semble essentiel que les villes honorées par ce label ne soient pas déjà les grosses locomotives des flux culturels français. Je retiens avec intérêt le fait que les anciennes capitales européennes de la culture (Avignon, Lille, Aix-Marseille) soient retirées de la liste des impétrantes, au moins dans un premier temps. De la même manière, il me semblerait incongru et peu productif de propulser une ville comme Nantes, dont le tissu culturel très dynamique ne me paraît pas en attente d’une telle reconnaissance. Faisons donc de ce label un agent de mise en commun des énergies créatives, qui puisse humaniser un peu cette métropolisation dont on aimerait qu’elle soit un peu moins fracassante…

Capture d’écran 2016-07-20 à 14.54.18Limoges a toute sa place dans ce projet. Riche d’une histoire culturelle et artistique enviable de l’abbaye Saint-Martial aux Francophonies, bénéficiant en dépit des difficultés budgétaires d’un réseau d’acteurs culturels dynamiques (présence d’une école nationale supérieure d’art, centres culturels municipaux et théâtres privés, créateurs dans les domaines de l’émail ou de la porcelaine ou tous ceux mis en exergue par les PechaKucha, festivals de qualité), la ville et l’ensemble du territoire auraient beaucoup à gagner : émergence d’un projet positif et porteur pour une ville en mal d’image, effet d’entraînement sur l’aménagement urbain (l’art peut investir nos rues) et – on est en droit de l’espérer – les relations ferroviaires, relance du pôle d’enseignement supérieur, multiples occasions de projets d’éducation populaire et de projets pédagogiques pour les écoles… Nos élus sauront-ils faire preuve de la perspicacité nécessaire pour engager Limoges dans ce processus ? Toutefois n’attendons pas tout d’eux : c’est aussi à nous, citoyens, de faire nôtre ce projet, de le faire connaître et de le rendre convaincant !

Il va sans dire que certains grands édiles en quête de reconnaissance politique et avides de compétition métropolitaine auront à cœur de se saisir de cette idée et de rivaliser d’annonces à peine électoralistes. Il sera donc nécessaire que, dans l’esprit de ces Etats généreux de la Culture, la société civile des « créatifs », et au-delà l’ensemble de la société civile, se saisissent de ce projet pour en faire une perspective résolument co-construite. Déjà formulée il y a quelques années et depuis (et récemment) activement étudiée et débattue par les chercheurs, experts de l’urbain et élus de grandes villes susceptibles de pouvoir candidater, cette proposition pourrait être étudiée par le gouvernement cet été. Quoi qu’il arrive, elle doit être inscrite à l’agenda de la prochaine campagne présidentielle.

Loin de la position tristement caricaturale distillée par le Chef de l’Etat et son Premier ministre à l’ex-ministre de la Culture Fleur Pellerin en 2014, il s’agirait ici non sans artifices de consacrer les acteurs culturels dans le rôle politique que l’on devrait toujours leur reconnaître : celui d’oeuvrer au service du bien vivre-ensemble des populations dans leurs territoires, même en Province !

Photos : Visuel du sentier de grande randonnée périurbaine GR2013, mis en place par des artistes dans le cadre de Marseille-Provence 2013 (c) Lola Duval. - Urbaka à Limoges, 27 juin 2015 (L.D.).




> Et si finalement, nous étions Aquitains ?

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Capture d’écran 2015-09-23 à 17.24.14Après le découpage, et la répartition des compétences et leur organisation entre les différentes villes, la détermination du nom de la future (et désormais proche) grande région répondant encore au nom d’Aquitaine – Limousin – Poitou-Charentes peut paraître un passage avant tout symbolique. J’en ai déjà un peu parlé, il se trouve que les symboles sont le reflet des intentions, et par la même occasion porteurs de nombreux autres effets éventuels. La plupart du temps, les noms des lieux décidés à l’époque contemporaine découlent des projections des acteurs qui les dirigent (valoriser le patrimoine, donner une image supposément positive, honorer une tradition ou une personnalité, etc.), et doivent matérialiser une conception du territoire qualifié (productif, attractif, touristique, solidaire…).

C’est à ce titre que les débats concernant le nom de notre nouvelle région vont forcément animer les échanges politiques : qu’on se le dise, le nom, parce qu’il définit et localise, suppose aussi des images, donc des rêves. Il se murmure que les limousins et picto-charentais pousseraient pour « Sud Ouest Atlantique », quand les aquitains se verraient bien garder leur nom. Les premiers ont à gagner en visibilité, passant sous silence par la même occasion, via un recours à la géographie naturelle, une part d’identité du grand voisin soupçonné de vouloir les phagocyter. Dans cette réflexion interviennent l’économie et les intérêts politiques, mais aussi la culture, les identités personnelle et collective… Le tout posant la question suivante : qu’est-ce qui doit déterminer le futur nom ?

La Rencontre des Historiens du Limousin a pris position et développe un argumentaire que l’on peut résumer à : « nous ne devenons pas Aquitains, nous le sommes », ou du moins, « nous le redevenons, et ce n’est une infamie pour personne ». À contre-courant de la position a priori attendue des élus du Limousin, donc, ce groupe de chercheurs rappelle notamment que nous – Limousins – avons longtemps fait partie de ce qui était l’Aquitaine (et pas moins que Bordeaux…), depuis la Gaule Aquitaine jusqu’au duché d’Aquitaine, et que Limoges a été le lieu de couronnement du roi d’Aquitaine Charles l’Enfant et du duc d’Aquitaine Richard Coeur de Lion. En vérité, ce n’est que depuis la constitution des régions contemporaines que l’Aquitaine se réduit artificiellement aux cinq départements que l’on sait, entre le Périgord vert et la Côte basque. Rétablir l’Aquitaine d’avant ne serait donc pas un simple hommage mais une réparation. Rappelons d’ailleurs que le « Limousin » que l’on se vante d’hériter des Lémovices ne couvrait en tant que province que la moitié sud de l’actuelle région, la moitié nord correspondant à la Marche. Un Creusois n’est donc Limousin que depuis quelques décennies !

On comprend ici que les références pluriséculaires peuvent constituer des dénominateurs communs particulièrement pertinents, qui se réclamant d’une réelle profondeur historique et culturelle en plaçant notre patrimoine commun au cœur de la réflexion territoriale, peuvent contribuer à faire de l’humilité une nouvelle variable de l’action… N’est-ce pas séduisant, dans la perspective de renouveler notre modèle démocratique ?

Je dois bien l’avouer, au départ, sans doute piqué dans ma fierté de Limousin se sentant abusé par une réforme tellement brutale – et mal argumentée, et brutalisé par le silence éloquent de certains élus aquitains à l’égard du devenir du futur-ex Limousin, je ne voyais pas pourquoi nous devrions nous soumettre à l’Aquitaine, ses velléités et son nom ! Il faut dire que l’attitude du président sortant d’Aquitaine à notre égard n’a pas toujours été d’une grande classe.

Alors oui, Sud-Ouest Atlantique me semblait être un moindre mal : au moins les Bordelais n’auraient peut-être pas tout gagné « sur nous » ; on gagnerait peut-être en visibilité aux yeux de la capitale, l’évocation maritime avait quelque chose de vivifiant… 

25130Je vous l’accorde, c’est un peu puéril, du moins chauvin, et surtout c’est une position assez contradictoire en ce qui me concerne, moi qui suis le premier à critiquer ces terminologies économistes, « compétitives » et uniformisantes auxquels nos édiles en manque d’inspiration et de pouvoirs nous soumettent régulièrement… J’ose espérer que Midi-Pyrénées-Languedoc-Roussillon ne va pas accoucher d’un vilain « Sud de France – Pyrénées » ! (Il me semble qu’un simple « Languedoc » serait assez juste, historiquement, non ?) Georges Frêche et les enfants plus ou moins spirituels et plus ou moins terribles qui lui ont succédé n’ayant eu de cesse depuis sa disparition de décliner à l’infini et à l’overdose la marque Sud de France Car comme on peut le voir ci-contre, c’est bien d’une marque dont il s’agit, ce qui en soi n’est pas un mal, mais qui en termes géographiques s’avère être la preuve d’une financiarisation latente et douteuse de nos territoires, qu’on se le dise. Ah, j’entends que Sud de France, comme Sud Ouest Atlantique, faciliteraient la localisation, drainerait les touristes et les capitaux, donc participerait à l’essor du territoire. Certes, les marques territoriales peuvent être des leviers intéressants dans la dynamisation des territoires – citons l’exemple de la marque Limousin qui permet de fédérer les acteurs économiques dans une même stratégie. Cependant, l’application du marketing au territoire est toujours porteuse de menaces en ce qu’elle n’est pas un catalyseur automatique de richesse pour les populations, et qu’elle pêche encore en matière de démocratie du processus d’invention, de décision et d’animation. En outre, un nombre impressionnant de régions européennes, même petites, même pauvres, porte des dénominations historiques (bien plus pittoresques et poétiques que d’austères Nord, Sud, Est, Ouest), sans que cela n’apparaisse comme un facteur déterminant dans notre capacité à les situer : Bavière, Estrémadure, Brabant wallon, Algarve, Trentin-Haut-Adige, Cornouailles, Frise, Tyrol, Silésie… ce n’est pas si mal, non ?

Donc je me dis finalement, à la lecture de l’argumentaire de la Rencontre des historiens du Limousin, en pensant à Ruedi Baur1 et en repensant à tout ce que j’ai pu étudier cette année passée durant la réalisation de mon mémoire sur les noms de stations de tram (là encore de beaux exemples de stratégies d’uniformisation du paysage toponymique !), qu’ « Aquitaine » est peut-être ce qui a le plus de sens… Donc à nous de nous réapproprier ce que les Girondins, Landais, Périgourdins, Béarnais et autres Basques ne doivent pas confisquer ! Le rappel du glorieux passé historique de Limoges dans cette ancienne entité doit contribuer à nous en convaincre. C’est finalement un choix positivement iconoclaste que celui-là !

Comment finalement se résoudre à abandonner Limousin ? Je l’ai rappelé, le Limousin comme triptyque idéal Corrèze – Creuse – Haute-Vienne est une invention toute récente. Mais surtout, le Limousin survivra au découpage, quand bien même il n’apparaîtrait plus dans le nom de la région, parce qu’il est une notion culturelle et vécue qui n’a pas besoin des limites administratives pour exister. Tout comme Roussillon, Périgord, Béarn ou Anjou ont survécu aux départements, même sans plus exister dans leurs noms.

Ainsi, le vrai enjeu, il faut à mon sens plutôt le voir dans le fonctionnement démocratique de cette future région ; à nous de veiller à ce que le choix d’ « Aquitaine » ne légitime pas une hégémonie bordelaise dans les faits et gestes des représentants que nous élirons en décembre prochain.

Maintenant, à vous de faire connaître votre avis sur www.magranderegion.fr

1 Dans le cadre du cycle de conférences que je contribue à organiser au sein du département de géographie de l’Université de Genève, consacré aux enjeux de la toponymie métropolitaine en Suisse, nous allons sans doute et je l’espère recevoir le designer franco-suisse Ruedi Baur, célèbre pour avoir réalisé la typographie et la signalétique du centre Pompidou, et connu pour tenir un discours assez critique vis-à-vis du recours économiste dans les dénominations et les identités visuelles des territoires, ainsi considérés comme des produits marchands.




> Revue littéraire : La nostalgie des buffets de gare, de Benoît Duteurtre

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La_nostalgie_des_buffets_de_gare.inddJe vous recommande vivement la lecture du dernier ouvrage de Benoît Duteurtre, La nostalgie des buffets de gare, paru aux éditions Payot.

Déjà connu pour une vingtaine de romans distillant bien souvent un propos assez acide à l’encontre de certains des atours de la modernité idéologique, l’auteur propose par cette balade sur notre réseau national, au gré de déplacements personnels, une lecture très critique de l’état actuel de l’offre ferroviaire hexagonale, de l’explication des retards cumulés à l’évocation du creusement des inégalités d’accès au train selon les moyens.

Qu’on se le dise – et l’écrivain s’en défend – il ne s’agit pas ici de l’ouvrage d’un expert diplômé de la question qui entendrait ajouter une contribution au débat politique actuel sur la desserte en train : pas de chiffres, pas même de solutions concrètes. Benoît Duteurtre est avant tout un écrivain, et c’est ouvertement par nostalgie, par goût du rêve et regret de l’imprévu, qu’il se permet d’évoquer le charme perdu des wagons-lits, le bois patiné des anciens buffets, le fourmillement révolu des lignes secondaires. En vérité, le recours à la littérature permet très bien de dénoncer le déclin de ce service public essentiel qu’est (était?) le train, et que semblent sacrifier la libre concurrence et la rentabilité érigée en dogme déjà biaisé par un raisonnement emprunté au secteur privé. Dans l’ouvrage, on retrouve d’ailleurs les principaux arguments formulés par les détracteurs du « tout-LGV », voire par certains mouvements décroissants, même si l’idéal de la grande vitesse ne revêt pas que des défauts aux yeux de l’écrivain bien contemporain.

Parole déconnectée et démagogique, voire réactionnaire ? Pas vraiment ! Car on le répète, Benoît Duteurtre écrit le sensible, rappelle l’humanité, donc se glisse en chacun de nous, indépendamment de nos moyens financiers et de nos origines sociales et géographiques, pour nous interpeler sur une situation que certains d’entre-nous ont choisi d’accompagner et de consacrer, et dont nous sommes tous les acteurs. À ce titre, la nostalgie de Benoît Duteurtre, en dépit de certaines évocations de l’actualité peut-être contre-productives, nous paraît pouvoir éveiller la conscience et l’esprit critique qui sommeillent – plus ou moins – en chacun de nous.

> Benoît Duteurtre, La nostalgie des buffets de gare, Payot, 112 pages (14 €).
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> Services publics : des limites et échecs du rassemblement de Guéret

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Capture d’écran 2015-06-25 à 10.12.22Le 13 juin dernier, à Guéret, un grand rassemblement de défense des services publics se tenait à l’appel de la Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics. Se voulant d’importance nationale – des représentants de toutes les régions étaient présents, il faisait écho à son illustre homologue, la presque légendaire déambulation neigeuse de 2005, dont un François Hollande encore premier secrétaire du PS était un des participants. Ce regroupement anniversaire, largement relayé par la radio publique – évidemment concernée, devait prendre tout son sens par le fait que nous sommes tous concernés, plus que jamais dix ans après, par les perspectives noires qui continuent de se confirmer pour le service public, dans un univers de la concurrence la plus déloyale.

On attendait au moins 10 000 personnes et de grandes figures nationales et politisées de la contestation, qui seraient venues exprimer leur désarroi et leur colère face à la désertification hospitalière, à la privatisation des transports du quotidien, et plus globalement à la perte de souveraineté des citoyens dans ce qui les accompagne et les aide à vivre chaque jour (la santé, les transports, les médias donc, mais aussi la poste, la justice, l’eau, l’énergie, l’emploi…).

Et au final, en dépit d’un cortège dense et bruyant… un échec. C’est en tout cas ce qu’a relevé la presse nationale, et ce qu’ont avancé nombre de commentateurs. La mobilisation relativement faible – 4 000 à 5 000 manifestants selon l’estimation de La Montagne, sans doute la plus fiable et objective, a sans doute pesé dans ce jugement final. Surtout, dans le cortège, une foultitude de drapeaux et de mégaphones, un air de manif partisane, tristement « comme les autres », une ultra-domination des totems du militantisme politique et syndical, en dépit de l’absence de la CFDT ou de l’extrême discrétion du PS. En somme, une ambiance de fête, mais un message universel et « profane » qui peine à percer au milieu des slogans et des logotypes. En outre, une désorganisation patente – signalétique inadaptée, retards importants dans la mise en route des débats thématiques, et une communication hasardeuse dont on ne saurait dire si elle était l’expression d’un manque de moyens, ou d’un entre-soi confondant, voire d’un sectarisme empêchant la quête d’idées neuves ?

Car là était bien le problème central. À qui parlaient tous ces intervenants ? Et en définitive, au-delà des « convaincus », des « déjà conscients », qui participait réellement à ce rassemblement ? Loin de nous l’idée de nier l’engagement sincère et le combat légitime de tous ces élus, adhérents de partis, syndicalistes chevronnés et alters de la première heure, professionnels des hôpitaux ou des liaisons ferroviaires régionales sacrifiés sur l’autel d’une intangible rentabilité. Ils sont en pointe dans la dénonciation concrète d’un processus mortifère, dont les territoires ruraux et leurs habitants sont les premières victimes. Mais au fil de la journée, au gré des chants engagés et de l’étiolement de la ribambelle des marcheurs sous la pluie, grandit le sentiment que tout ceci est vain, un peu trop folklorique, et peut-être terriblement contre-productif.

Capture d’écran 2015-06-25 à 10.10.34Dans les débats, des échanges de bonne tenue et du parler vrai, mais des publics parfois très clairsemés, et des caméras qui se seront davantage agglutinées autour du photogénique mais éphémère Mélenchon, au deuxième rang de la manif. Fait éloquent : aux fenêtres, de très nombreux Guérétois prenant en photo les bannières multicolores, les percussionnistes survoltés, les marguerites brandies en l’air… Des Guérétois chez eux mais pas dans le cortège, ni aux débats… Le sentiment que ce rassemblement est avant tout une foire, une tribune, celle d’un petit groupe engagé, certes convaincu et sans aucun doute sincère, mais tellement peu représentatif, et par extension, dramatiquement excluant. Entre deux averses, la pugnacité laisse libre cours aux improvisations poétiques : « météo pourrie, météo du capital ! », a-t-on-pu entendre par moments. Les slogans sont souvent maladroits : si c’est certainement aux excès du capitalisme que l’on peut attribuer la lente mais certaine déliquescence du concept de « bien commun », comment concerner l’ensemble de la population par des appels révolutionnaires ?

Et nous de rêver d’une manifestation silencieuse et lourde, massive, grave mais résolue, autant que l’est l’impitoyable déconstruction du service public français et européen, ce bien commun par excellence. Une manifestation de ce fait originale, dans laquelle une majorité aurait pu se retrouver – souvenez-vous du 11 janvier. Pourquoi ne pas avoir convié des journalistes locaux comme il en existe de très bons, ou des universitaires, pour orchestrer les débats et leur donner un axe, un sens de lecture, une didactique en somme, et en formaliser les conclusions ? La politique est un piège, un outil galvaudé, mais la citoyenneté est une ressource infinie et fondamentale. Pourquoi ne pas avoir tenté de dépolitiser un sujet qui concerne tout un chacun ? Certes, on parle plus fort et on frappe peut-être plus aisément par des collectifs, et certes, l’austérité que d’aucuns au gouvernement promeuvent est un des principaux moteurs de la privatisation et de la polarisation outrancière des services publics, mais n’est-on pas citoyen avant d’être partisan ? N’est-ce pas ceci, notre première force collective ? Pourquoi ne pas s’appuyer à l’avenir, sur des collectifs associatifs transpartisans, sinon moins « colorés », pour peser mieux et nombreux ?

Alors, au final, une ambiance bon enfant, de (très) bonnes volontés et des témoignages édifiants et nécessaires sur la casse du service public orchestrée par les dirigeants de tous ordres et appliquée à toutes les échelles, mais un appel qui tourne en rond alors qu’il concerne 100 % ou presque de la population française. Certes le dimanche, un ensemble de déclarations officielles devait formaliser l’ensemble des réflexions et des prises de positions de l’événement, autour d’un « Appel de Guéret ». Mais sa portée semble limitée. Sur Facebook, 528 personnes seulement suivent la page consacrée au rassemblement, et ledit communiqué n’a été partagé que treize fois (!). On attendra toutefois avec impatience le prochain rassemblement, en 2016, cette fois à Paris…

Capture d’écran 2015-06-25 à 10.13.48Mais quel dommage ! Le contexte actuel semblait pourtant donner toute justification à l’organisation d’initiatives de défense des services publics, notamment en écho à la loi Macron, qui entre autres conséquences préjudiciables consacre un peu plus le démantèlement du réseau ferroviaire français. Et quel meilleur endroit que Guéret pour donner sens à ce message ? On continuera la mobilisation. Mais à l’Elysée ou Matignon, nous aurions du mal à en douter, avec tristesse imaginons les conseillers de l’ombre (presque) satisfaits d’avoir vu tourner cette journée à l’avantage des caricatures.

Merci à Geneviève Leblanc pour la réflexion dont elle m’a fait part et qui a donné matière à cet article, et pour sa présence à Guéret à mes côtés.

Photos : L. D.




> LGV et réforme territoriale : triste chronique du libéralisme désincarné appliqué aux territoires

10022015

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En janvier, j’ai pu assister à la conférence que donnait Robert Savy sur les enjeux locaux de la réforme territoriale, désormais adoptée par le Parlement, et consacrant d’ici quelques mois la disparition de l’entité administrative « Limousin ».

Si je n’avais que douze ans en 2004, à la date de son départ de la tête du Conseil régional, et donc de son retrait politique, Robert Savy reste pour moi une figure majeure et respectable de la vie politique locale. Une figure amène et bonhomme certes, mais aussi et surtout l’incarnation d’une volonté, d’une certaine idée de la fonction d’homme politique, entre exigence morale et engagement au service de la collectivité. Les commentaires de la salle comble abondaient d’ailleurs dans ce sens.

L’ancien homme fort du PS local, alerte et volontiers taquin, cogne gentiment mais sûrement sur les décisions de ses camarades. Son désengagement de la vie politique active doit aider. Peu importe. Robert Savy, qui n’a pas vécu que de la chose publique, loin s’en faut (cf. sa carrière au Conseil d’Etat et à l’université), continue de distiller des analyses aussi justes que percutantes. Ayant eu plusieurs fois l’occasion de s’étendre dans les médias régionaux sur les conséquences néfastes que cette réforme de la carte des régions augurait pour le futur-ex Limousin, il en déplore une fois de plus la dimension extrêmement libérale et injonctive. Et continue de s’inquiéter, à raison je le pense, du grand flou concernant les compétences – et donc les conséquences en termes d’emplois, de ressources financières et de représentation politique.

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Une proposition alternative qui avait du sens, exception faite sans doute d’Auvergne-Limousin. (M. Bodlore-Penlaez, pour Geobreizh.com)

Après un résumé assez critique des dernières mesures des récentes et futures réformes territoriales du gouvernement (notamment autour des métropoles, des nouveaux cantons et de la refonte des intercommunalités, dans une approche résolument concurrentielle), voici les idées majeures de son intervention.

Leitmotiv de son propos : la taille des régions – et donc le redécoupage ainsi imposé – est un mauvais argument. Le Limousin n’a jamais véritablement souffert de cela pour proposer des projets et se faire entendre dans les institutions européennes. Parler de « modèle européen » pour changer la taille des régions est une hypocrisie : il existe de toutes petites régions dans d’autres pays d’Europe, qui fonctionnent très bien – et l’on peut également penser à des régions gigantesques qui ont bien plus de mal à peser. Bien évidemment, Robert Savy a à cœur d’invoquer de façon positive son action à la tête de la Région. Non sans un brin de vanité sans doute, mais les mots sonnent forts. En filigrane, on aura compris la critique du fameux modèle idéal allemand, qui ne doit pas être comparé tel quel. Émerge à ce sujet la critique du lassant réflexe de révérence, encombrant et inapproprié, à l’égard du voisin allemand. En vérité, – et c’est là que la comparaison allemande pourrait être signifiante – le vrai débat concerne bien les compétences et les moyens. Or à ce jour, c’est encore très vague. Au final, Robert Savy parle d’une « réforme en trompe l’oeil », qui prétend s’attaquer à de vrais sujets (économies, simplification…) mais qui ne touche réellement qu’à une carte et qui « fait semblant » de renforcer véritablement les Régions. L’évocation qu’il fait des réussites du Limousin sert à appuyer l’idée précédente : les politiques d’accueil des nouvelles populations, le soutien au haut débit, l’amélioration des transports ferroviaires, les collaborations avec d’autres régions concernant l’Université ou le POLT, seraient autant d’exemples de la capacité du Limousin à être acteur plein et entier, indépendamment de ses modestes superficie et démographie.

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R. Savy et F. Hollande (A. Jocard, AFP)

Évoquant les conséquences directes de cette nouvelle organisation, Robert Savy nourrit des inquiétudes quant à l’emploi public en Limousin – inquiétude rassurée au moins en partie depuis par les garanties apportées par Marylise Lebranchu promettant une sanctuarisation des effectifs. En revanche, en ce qui concerne le quotidien vécu, la place de Limoges dans la future organisation des services de la grande région, la conduite de politiques garantissant des liens futurs entre Bordeaux et Limoges, le devenir des marges creusoise et corrézienne, on ne peut que s’en remettre à l’espoir… qui en politique n’est pas une garantie de réussite ! En bref, le propos de l’ancien président de région s’inscrit dans une lecture assez désolée du sort réservé au centre de la France, abandonné au mythe répétitif de la « diagonale du vide ».

Concernant l’idée d’un Limousin comme fait culturel, politique et social : certains intervenants ont fait valoir que cette identité ne disparaîtrait pas – ce que je pense aussi, mais R. Savy a souligné que les spécificités (difficultés comme réussites) du Limousin risquaient d’être effacées / ignorées par la fusion et l’intégration dans un nouveau grand ensemble (notamment par la dilution des statistiques, ce à quoi je n’avais pas pensé, il est vrai). Tout dépendra de la politique de proximité menée par la nouvelle région. Là encore, l’espoir.

Enfin, quelle représentation politique des territoires limousins ? Les élus limousins ne représenteront que 13 % des élus de la future grande région. Un intervenant, lors de la conférence, a réagi en faisant remarquer qu’après tout, c’était cohérent car fonction de la part de la population limousine dans le total. R. Savy a répliqué que tout dépendait de l’échelle de prise en compte, ce qui a fait écho à ses propos sur l’existence culturelle, politique, sociale du Limousin… et surtout brandi de nouvelles inquiétudes quant à la visibilité des problématiques sociales et économiques des territoires limousins.

On ressortait de cette riche intervention partagé entre la conviction d’avoir touché les vraies limites de la réforme, et le désarroi de ne pas en être bien rassurés. Quoi qu’il en soit, convaincus que le problème de cette réforme, au-delà des incertitudes qu’elle véhicule, reposait sur des considérations bien plus politiques que pragmatiques, et que par conséquent il posait de véritables questions d’ordre moral (proximité, légitimité, transparence, dialogue…) autour de l’absence de réelle prise en compte des êtres ! Le libéralisme débridé et désincarné appliqué aux territoires poserait donc des problèmes moraux ?

 

 

holande et DUPDans le même temps, l’adoption « surprise » de la Déclaration d’Utilité Publique – terme lourd de sens – de la Ligne à grande vitesse Limoges-Poitiers, est un autre coup dur porté à la fois au sens de l’action de nos élus, aussi légitimes soient-ils, et à la vision de l’aménagement du territoire que se devraient de défendre ces mêmes représentants du peuple.

Désavouée par la quasi-totalité des élus locaux et nationaux, décriée et condamnée par la totalité des rapports réalisés depuis deux ans par des collectifs et des organismes attachés à défendre l’intérêt public et la responsabilité financière et sociale, cette LGV a beau être morte-née, elle n’en réclame pas moins des financements en amont ! Certes les rails ne seront sans doute jamais posés – faute de moyens et de soutiens –, en attendant, grâce à la DUP, les expropriations et surtout les fameuses études aspirent quantité de subsides, qui n’iront pas ailleurs ! Les recours déposés par les associations et les collectivités concernées, au nom du bon sens et du véritable intérêt général, sont eux-aussi autant de « maux nécessaires » gourmands en temps et en argent, qui n’iront pas alimenter de vrais projets bénéfiques – POLT notamment…

Réforme territoriale ; fantasme entretenu du tout-TGV : ces deux événements lourds de conséquences sont pour moi révélateurs de la soumission de l’intérêt général de ceux qui possèdent tout à ceux qui aimeraient posséder un peu. Au-delà des grands mots parfois caricaturaux, ils témoignent des grands maux de notre démocratie : le triomphe de l’image et du symbole sur le sens profond, de l’immédiateté, de l’injonction au résultat, fut-il biaisé, de l’illusion de l’objectivité. Des mots et maux qui enseignés, médiatisés, et colportés mécaniquement donnent libre cours aux rancœurs, aux envies, aux luttes de pouvoir permanentes et aux discours convenus de certains responsables aspirant à nous gouverner.

Je crois important de rappeler et insister sur le fait que déplorer ces deux événements ne revient pas à brandir le rêve de l’autogestion, le mythe du citoyen-président, la démagogie de l’élite des « tous pourris », l’appel à la décroissance – quand bien même nombre des réflexions des tenants de cet idéal devraient être considérés avec plus de crédit. Non, ce propos s’inscrit dans un plaidoyer pour une démocratie représentative régénérée, renouvelée dans ses institutions par ceux qui les incarnent par leurs revendications et leur existence-même – les citoyens.

Contrairement à ce que d’aucuns prévoyaient, spécialistes et chroniqueurs béats (bétas ?) sans doute grisés par un idéal de modernité fondé sur le productivisme et la quête du meilleur chiffre, les technologies de l’an 2000 n’ont pas signé la victoire de l’immatériel sur les territoires – c’est le sens indirect et certes « politicien » du propos de Robert Savy sur les élus hors-sol. Remodelés, mis en concurrence et bien souvent malmenés, quoique toujours inventifs, ces territoires doivent relever des défis bien souvent supérieurs à leurs moyens. Que faire ? Écouter et lire les initiatives locales qui bien souvent, très loin de l’angélisme qu’on les accuse de seriner, portent en elles les germes d’un nouveau modèle démocratique, celui du partage, du durable, de la considération mutuelle, de l’ascenseur social.

Des pistes, il y en a. Certaines collectivités – rares il est vrai – ont des moyens conséquents. Soumises à l’avatar de la compétition territoriale qu’est l’individualisme, elles ne consentent que par la loi à une péréquation il est vrai souvent mal comprise car mal expliquée au grand public. Cette incompréhension peut être dépassée si l’on garantit une véritable réciprocité de bénéfices : les territoires mieux dotés pourraient profiter de ces fonds pour lancer des programmes expérimentaux, pourvoyeurs d’emplois et de visibilité, qui une fois stabilisés, pourraient être plus facilement adaptés et reproduits dans et pour les territoires en difficulté. Mobilisant au passage l’énergie des entreprises locales, du tissu associatif et des universités, à grand renfort de nouvelles méthodes de participation. Ces programmes pourraient autant concerner la transition énergétique, les services publics, les nouvelles mobilités, l’accès à la culture…

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La Réserve citoyenne relancée au profit de l’Education nationale. Un exemple de l’utilité concrète de l’expérience et de l’engagement quotidiens au service d’une société qui fonctionne mieux.

Pour y arriver ? De l’écoute, de l’audace, et de la proximité. Dans les organes de décision, à renouveler, une plus juste représentativité des forces créatrices, invisibles, groupes minoritaires ou « minorés » – jeunes, étrangers, chercheurs – mais aussi cette grande majorité silencieuse que l’école, l’entreprise, les associations doivent retrouver. Et certes, il faut un peu d’argent – il y en a ! Le libéralisme n’est pas une science objective, c’est une vision politique – merci Bernard Maris. S’en remettre aux dieux de la régulation automatique, ce n’est pas s’en remettre à la transcendance d’une hypothétique Loi naturelle, mais bien imposer un schéma totalement subjectif, intéressé et terriblement contre-productif. Penser collectif, ce n’est pas se dépouiller pour les autres, mais bien faire preuve d’humanité au sens le plus large, premier et dépassionné du terme. Celui qui cherche à garantir à chacun le même droit d’aspirer à être et agir.

Ce qui est vrai avec les hommes est vrai avec les territoires. Si invoquer l’égalité des territoires et chercher à l’appliquer est évidemment un vœu pieux particulièrement et inutilement consommateur de temps et d’énergies, s’en remettre sans critiques et sans débats à l’implacabilité et la violence de la concurrence des territoires serait dévastateur. Autant en termes d’effets sur les populations, que de conséquences sur le rapport entre élus et citoyens.




> Réforme territoriale : et si on parlait « pratique politique » ?

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Capture d’écran 2014-07-03 à 10.50.58On parle de réforme territoriale. Le problème, c’est que ce projet en l’état n’a pas grand-chose pour convaincre.

Le débat ne se concentre qu’autour de limites dont personne ne veut, et qui semblent avoir été décidées de façon arbitraire. Je ne peux m’empêcher le parallèle osé mais amusant avec le découpage du Tarn-et-Garonne, qui selon la légende, serait fruit d’un décalquage de la main de Napoléon Ier sur une carte de France. Je n’en suis pas à comparer François Hollande à l’Empereur, mais j’ai la triste impression que les autorités actuelles, poussées par la crise de confiance et les désaccords entre les différentes ailes du PS, ont confondu « prise de décision » et « imposition de décision ». A moins que François Hollande, à qui l’on a tant reproché de n’avoir pas su troquer son costume d’élu local pour celui de chef de l’Etat, s’imagine encore président du conseil général de Corrèze et que par conséquent, il se trouve à lui seul autant légitime pour trancher que les milliers d’élus locaux qui sont eux directement et sur le plan pratique concernés par la réforme.

Sur quoi devraient donc s’appuyer ces nouvelles limites ? A mon sens, la dimension culturelle est importante mais pas déterminante. Je suis personnellement militant de l’allocation de moyens supplémentaires pour la valorisation et la reconnaissance des cultures régionales et minoritaires. Mais je pense que cet enjeu n’est pas forcément celui qui doit motiver la réunion des régions. Nous sommes culturellement plus proches de l’Auvergne que de Poitiers, mais quels sont nos liens directs et physiques avec Clermont ? D’autant que la dimension culturelle et identitaire, si elle repose sur des références communes, ne me semble pas assez partagée à ce jour pour en devenir un facteur de choix central, sinon déterminant. Autrement dit, faire de l’Occitanie le déterminant des futures régions est illusoire. De surcroît, remarquons que les projets culturels ne paraissent pas tant souffrir des inerties administratives. Ainsi, les parcs naturels régionaux existent bien de part et d’autre de frontières régionales ; ailleurs, le sentiment catalan perdure bien du côté français de la frontière sans que les collaborations avec Barcelone en soient freinées autrement que par la frontière étatique ; la comparaison toutes proportions gardées pourrait se faire entre la Charente limousine et Limoges. En revanche, dans une région rurale, enclavée, dépréciée et désertée par ces jeunes comme la nôtre, la détermination de potentialités de développement socio-économique (donc d’emploi, de projets porteurs) me semble une priorité, qui elle pourrait façonner les nouveaux découpages et a fortiori favoriser à nouveau le dynamisme culturel. Si l’on voulait bien prendre la mesure de cette réforme, en acceptant d’éclater les régions. Et pourquoi pas, redéfinir les limites départementales héritées de temps de parcours en cheval, rappelons-le.
Cette réforme néglige l’avis du peuple. A mon avis, le référendum est un piège, auquel Hollande ne doit pas céder (on voit mal de toute façon comment il pourrait accéder à cette requête qui se transformerait en plébiscite contre lui). En effet : comment concilier les avis des citoyens selon les régions dont les contextes sont très différents ? Comment faire d’un « oui » ou d’un « non » une réponse constructive et nuancée ? Non, le référendum comme l’a préconisé le Sénat est une impasse. Mais pourquoi ne pas organiser des véritables concertations locales, des cycles d’échanges qui associent non seulement les élus locaux, les citoyens volontaires, assurément, mais aussi les acteurs du monde économique, associatif, et, bon sang, du milieu universitaire ! Ne reproduisons pas la bêtise de 1962.

Les compétences des futures régions ? On n’en parle peu, alors qu’elles seront au cœur du quotidien des citoyens. Et quand bien même on avance le démantèlement des départements dont les compétences seraient reprises par les nouveaux chefs de file que seraient la région et l’intercommunalité, on n’en résout pas davantage la lapalissade qui fait que l’on supprime dans le même temps la clause de compétences générales… La création en doublon des chefs de file ne serait-elle pas un effet d’annonce pour étayer l’aspect faussement novateur de cette réforme bancale ? Et quid de la perte de proximité potentielle ? Comment les transports ou les projets micro-économiques de la Combraille pourraient-ils être bien gérés par Bordeaux, qui a d’ores et déjà annoncé par la voix de ses grands élus qu’elle accepterait le Limousin… sans s’en occuper !
Quid du mode de désignation des élus ? Extrêmement flou et arbitraire. Ce qui est embêtant alors que l’on déplore la perte de confiance des citoyens en leurs représentants. Le seuil des 150 élus régionaux sera préjudiciable aux territoires ruraux peu peuplés. Combien de représentants la Creuse enverra-t-elle à Bordeaux ? Si peu, que cela en résumera parfaitement mais dramatiquement le message que le gouvernement envoie aux territoires ruraux.

Enfin, sujet majeur : en quoi cette réforme garantirait effectivement des économies ? Je souscris en ce point à la totalité de la déclaration de l’ancien président du Conseil régional du Limousin, Robert Savy, qui s’exprimait voilà quelques jours dans les colonnes du Populaire du centre. Celui-ci rappelait le flou étonnamment entretenu autour des modalités et des arguments concrets qui seraient susceptibles de nous convaincre du bien-fondé comptable de cette révolution territoriale. Et qui pour essayer de le prouver ?

Il y a quelques jours, Le Nouvel Observateur a présenté les 8 plus gros gaspillages ou 8 plus grosses aberrations de projets construits ou en cours de construction dans les régions. Des projets dont l’échec serait à mettre sur le compte de la superposition des échelons territoriaux (la proximité des deux grands aéroports de Lyon et Grenoble, l’incapacité des élus savoyards à s’accorder sur le financement du train vers Genève, l’échec du musée du cinéma à Angoulême, les frais incroyables de transports des élus d’Île-de-France). A la lecture de ces échecs, de ces projets fous et finalement complètement bancals, que la réforme territoriale doit empêcher, j’ai remarqué que plus que les limites des régions, c’étaient leurs élus et leurs pratiques qui étaient mis en cause.

Et je me suis donc demandé : plus que de réforme territoriale, qui telle qu’elle est menée ne convaincra jamais, et n’apparaît pas comme garantie absolue d’économies recherchées, plus que de réforme territoriale, donc, n’est-ce pas d’une réforme de la pratique politique, dont il faudrait parler ? Je ne suis évidemment pas en train d’abonder dans le sens du « tous les mêmes », ou « tous pourris », soyez-en certains. Ce ne sont donc pas les hommes et les femmes que je mets en cause, mais bien le cumul des mandats dans le temps, l’habitude de l’exercice du pouvoir, les familiarités qui au fil du temps transforment les relations démocratiques en copinages néfastes pour la transparence des décisions et rendent impossibles la prise de recul et la remise en question nécessaires au respect de l’intérêt général et de la cohérence des projets d’aménagement.

Ainsi, ma réforme à moi – car oui j’en propose une -, elle s’articulerait en trois points :

  • Respect de la souveraineté citoyenne et organisation de véritables débats en région, avec contributions réelles des acteurs de la vie quotidienne (élus, mais aussi monde économique, associatif, culturel, universitaire), qui permettraient de proposer des découpages réellement efficaces, les moins polémiques possibles, et surtout, appuyés sur des réalités concrètes. Le report sans ménagement des élections et la précipitation de cette réforme sont un joli pied de nez à la démocratie locale.
  • Respect du principe de solidarité des territoires, et non fuite en avant vers la concurrence débridée entre les grosses métropoles, une métropolisation qui transformerait nos régions rurales en marges complètement anonymes et délaissées (les exemples catastrophiques de la métropole de Lyon, de la réforme des cantons ou du seuil de 20.000 habitants dans les futures intercommunalités toujours aussi peu incarnées, sont éloquents). Ce principe assurerait un découpage en phase avec les représentations et les pratiques de tout un chacun.
  • Réforme profonde de la pratique politique, par l’interdiction stricte du cumul dans le temps Certes, les lois ne font pas tout, mais elles peuvent contribuer à changer les réflexes d’action et de pensée. Prenons également la peine de tout penser ensemble : pourquoi les cantons ne sont-ils pas fusionnés dans l’intercommunalité ? Et comme le faisait très justement remarquer un de mes camarades du Forum citoyen des jeunes limousins, pourquoi ne pas avoir intégré dans la réflexion les périmètres des Pays, ces territoires de projets créés sous Jospin qui ont le mérite d’associer les communes autour de véritables stratégies de développement durable ? Cette réforme ne supprime pas des échelons : elle les multipliera et les complexifiera.

Si ces principes n’étaient effectivement et finalement pas respectés, voilà quelles en seraient les conséquences pour notre territoire :

  • Un territoire éclaté, alors qu’il a un destin commun, celui d’une région enclavée et encore méprisée dont les atouts sont pourtant nombreux. Et que pour l’instant, rien ne garantisse la réussite d’une réunion de la Creuse à l’Auvergne (dont elle demeurera une marge), ou de la Corrèze à Midi-Pyrénées ou Aquitaine.
  • Une capitale régionale reléguée et oubliée : je rappelle que Limoges, ancienne cité industrielle, vit essentiellement de l’administration, qu’elle perdra au moins en grande partie si le Limousin devient une frange de la future grande région Sud Ouest qu’on nous promet. Certes, il est de la responsabilité des élus, réforme ou pas, que de créer les conditions d’une relance économique des anciens pôles industriels, mais tout ne peut se faire d’un claquement de doigts, et encore moins si le gouvernement joue dans l’autre sens.
  • Des infrastructures toujours plus délaissées, anéantissant toujours davantage la possibilité de construire des projets en milieu rural et périurbain et d’y bénéficier de services de proximité performants ; une situation aggravée par l’adaptation consentie des élus au système ultra-libéral, et par le fétichisme persistant de certains de ces élus pour le fantôme trompeur qu’est la LGV, dont la déclaration d’utilité publique pourrait se transformer en affirmation de mort publique d’ici peu.

Quelles solutions ? Evidemment, que chacun réaffirme son statut de citoyen. Sans conservatismes, mais avec conviction, avec revendication ! Et ça, je vous le dis, ça ne passe pas par l’abstention, ou par le rejet de la politique ; au contraire ! Car la réforme du politique passera par le politique ! Elle se fera de l’intérieur ! Elle se fera si chacun de nous commence à s’engager, et participe de la refondation d’un système à bout de souffle. Ce dont on ne peut pas se satisfaire, et qui oblige beaucoup les jeunes, plus que jamais, et quelle que soit la préférence politique.







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