> Réforme du conseiller général et nouvelle carte cantonale : des inquiétudes légitimes !
15012013La réforme de la carte cantonale prévue par le changement de mode d’élection des conseillers généraux part d’une bonne intention. Mais elle se doit de ne pas être précipitée et de garder toute cohérence géographique (et donc sociale, économique, etc.), au nom d’une lisibilité pour l’électeur et d’un bon fonctionnement des nouveaux binômes d’élus. Et donc, de la crédibilité de l’acteur politique local, dont on ne peut que reconnaître le caractère essentiel pour mener des politiques ciblées et pertinentes.
Force est de constater que le canton est sans doute l’échelon administratif le moins bien identifié par le citoyen. Motivés par la création des justices de paix à la Révolution, ces dernières ont été supprimées en 1958. Dès lors, les cantons ont peu à peu perdu de leur visibilité (d’aucuns diront de leur utilité) avec l’affirmation du rôle de la Région et plus encore l’émergence des intercommunalités, dans les années 1990. Ces dernières, aux compétences de plus en plus transversales, sont de surcroît appelées par la future réforme des collectivités à gagner en légitimité démocratique (par un nouveau système de désignation des conseillers communautaires, faute de suffrage direct encore repoussé par le gouvernement) et en lisibilité géographique (par l’arrêt d’une carte intercommunale pour autant polémique). Pour autant, la place du canton devrait être réaffirmée par la prochaine réforme gouvernementale, à travers l’ambition de redonner un élan aux collectivités locales – donc aux conseils généraux – par une nouvelle décentralisation.
La réforme, maillon de la grande refonte des modes de scrutin et des modes de fonctionnement des entités administratives françaises (municipalités, intercommunalités), induira un redécoupage de la carte des cantons, rendu obligatoire par les modifications du mode de scrutin départemental en 2015. Un changement annoncé qui fait déjà jaser. Et ceci, à peine trois ans après la première fronde de l’Assemblée des départements de France (ADF), qui s’était vivement opposée à la nouvelle carte proposée par le gouvernement Fillon dans la perspective de l’élection inédite du conseiller territorial, remplaçant mort-né des conseillers généraux et régionaux. Les projets de l’époque avaient pour beaucoup été menés dans le secret, et les départements avaient été placés devant le fait accompli.. et tant pis p.our l’incohérence et l’absence de représentativité équilibrée ! Ainsi donc, une nouvelle opposition pourrait se constituer face aux desseins de l’équipe Hollande. La crainte pourrait une fois de plus se cristalliser autour des risques récurrents du charcutage administratif, et de l’absence de neutralité et de cohérence géographique dans cette refonte territoriale.
Pourtant, les esquisses se veulent rassurantes. Premièrement, en promettant un nouveau redécoupage cantonal, le gouvernement entend réaffirmer l’objectif de parité qu’il s’est déjà fixé à travers les promesses de campagne du candidat Hollande, concrétisées notamment par la composition de ladite équipe gouvernementale. Ainsi, chaque nouveau canton élira deux conseillers départementaux, en binôme, homme et femme. Ce qui est intéressant, même si réel est le risque de perdre du temps à voir le « couple » élu se partager effectivement et efficacement la tâche confiée par les électeurs. C’est au cœur des problèmes posés par la recomposition géographique des entités, on va le voir. D’aucuns ont aussi brandi la menace de voir l’éluE stigmatisée de n’avoir pu se faire élire que « grâce » à un homme. Des craintes véritablement légitimes.
Par ailleurs, la réforme s’accompagnera aussi d’une redéfinition géographique de ces cantons, afin de coller davantage aux nouvelles réalités démographiques. On ne se contentera donc pas de fusionner les cantons actuels deux par deux. Reste à savoir quelles règles conduiront les travaux, et c’est là que le bât pourrait blesser. Redécouper des cantons suivant une règle mathématique, est la façon la plus implacable d’assurer une représentativité juste et équitable : quel que soit le territoire, rural ou urbain, tous les élus, représentent équitablement le même nombre de citoyens, plaçant ces derniers à égalité devant la loi et leur donnant la même légitimité démocratique. Mais une autre question, tout autant importante bien que plus matérielle, émane de ce sujet : quid de la « pratique » du terrain, au jour le jour, et de la réalité de l’espace ? Un vaste territoire rural rassemblant autant d’habitants qu’une petite commune urbaine ne se parcourt pas aussi facilement, et ses problématiques en sont nécessairement différentes (c’est une chose) et surtout plus complexes à traiter dans le même laps de temps et avec les mêmes moyens.
Deux hypothèses, donc. On aurait pu envisager une refonte de la carte à l’échelle nationale (afin de garantir pour chaque Français le même traitement par son conseil général). Si l’on divise la population nationale au 1er janvier 2010 par la moitié du nombre actuel de cantons (puisqu’on cherche au final à garder le même nombre d’élus), on obtient une moyenne d’environ 31 000 habitants par nouveau canton, ce qui laisse au Limousin 24 cantons (contre 106 actuellement), soit à peine plus de la moitié des cantons de la seule Haute-Vienne aujourd’hui. Tous les territoires, urbains et surtout ruraux, en seraient profondément bouleversés. En prenant l’exemple de la partie creusoise du plateau de Millevaches, il faudrait créer un canton d’une centaine de communes et de 2 000 km² pour atteindre le seuil des 31 000 habitants. Impensable, bien entendu, et le gouvernement en a conscience en promettant un redécoupage à l’échelle départementale, l’échelle du conseil général, même si c’est arbitraire.
Ainsi, si l’on prend l’exemple de la Haute-Vienne, les 42 cantons actuels sont refondus en 21 (chacun ayant deux élus, donnant toujours un total de 42). Lesdits cantons se partagent les 376 000 haut-viennois, rassemblant donc chacun 18 000 habitants. Ce qui ne pose pas de gros problème en milieu urbain, à Limoges notamment où les cantons sont les plus peuplés, et où le redécoupage sera le moins compliqué. Mais qui sera bien plus difficile en milieu rural, ou des cantons déjà fort étendus sont bien loin de ce seuil (260 km² et 3 700 habitants pour Mézières-sur-Issoire, 290 km² et 4 500 habitants pour Le Dorat, 360 km² et 5 900 habitants pour Eymoutiers). Le problème est le même en Creuse (un nouveau canton pour 9 000 habitants) et en Corrèze (1 pour 13 000). Voire parfois pire, quand on pense aux cantons tels ceux de Gentioux-Pigerolles ou La Courtine, qui ne réunissent même pas 2 000 habitants. Dans les espaces les plus ruraux de la montagne limousine ou de la Marche, il faudrait donc réunir au moins trois ou quatre cantons actuels pour atteindre le seuil de représentativité. Avec ce que cela implique en terme de cohérence géographique et de présence assurée des élus sur le territoire. Quand bien même ils seront deux ! Car si ce dédoublement de personnalité doit compenser l’augmentation de la taille des cantons, rien n’assure que le travail des élus se partagera géographiquement de façon efficace. Et est-ce réellement souhaitable, à ce titre ? On imagine déjà, en dépit de la bonne volonté et de la bonne entente des deux membres du binôme, les risques d’appropriation de tel ou tel élu par certains électeurs, voire la fracture de l’unité des cantons. Et si jamais le binôme ne fonctionne plus, on pense déjà aux dissidences politiques…
La prochaine réforme devra donc veiller à trouver le bon équilibre entre impératif de juste représentativité et cohérence spatiale pour le bon exercice des élus. En revanche, elle n’encadrera pas le personnel politique, ce qui est évidemment normal, mais n’est pas pour nous rassurer, d’autant si l’on repense aux protestations contre le non-cumul des mandats… Alors, oui à une réforme territoriale visant à la relance des politiques publiques à destination des territoires fragilisés, et non au conservatisme électoraliste ! Mais non également à la précipitation !
Illustrations : L. Destrem, 2013
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