
Sorti au printemps dernier, Tour de France des villes incomprises, de Vincent Noyoux, brosse un portrait de quelques-uns de ces coins de France à la réputation aléatoire. Pari intéressant que d’aborder une nouvelle fois la question des imaginaires géographiques en se confrontant directement à l’expérience du terrain et de la rencontre. Le résultat sera-t-il à la hauteur du défi ?
Elles sont douze à avoir été arbitrairement sélectionnées : Mulhouse, Vesoul, Guéret, Cholet, Vierzon, Cergy, Saint-Nazaire, la vallée de la Fensch, Verdun, Maubeuge, Châtel-Guyon et Draguignan. Vincent Noyoux a choisi, au fil d’une année, de s’y rendre pour vérifier si ce que l’on en dit de plutôt mal – isolement, ennui, laideur, misère… – est vrai. Deux ou trois jours sur place, à chaque fois. L’expérience est bien entendu subjective : certaines contrées ont moins de chance que d’autres au sens où elles seront visitées un jour de pluie, en plein novembre, un jour de fermeture des magasins… Qu’importe. On compte davantage sur l’engagement et la bonne foi du narrateur que sur sa bien-pensance, pour déceler le positif qui sommeille en ces petites cités.
D’emblée, on doute, car les poncifs sont bien présents. Parlant de Mulhouse : « on n’y trouve pas de bars branchés ni d’abbayes classées. (…) On n’y croise aucune célébrité. » (p. 8) Mais rapidement, la subtilité du style dénote le volontarisme de Vincent Noyoux à trouver ce qui peut plaire en ces villes. Non, ce n’est pas dans le guide touristique décalé que donne l’auteur, car celui-ci ne se prive pas de critiquer ce qui ne lui plaît pas. Mais on le sent réellement touché par ces villes dépréciées, et c’est cette sincérité, qui transparaît dans les passages très bien racontés, les émerveillements non feints, les surprises communicatives de ce road trip personnel et attachant, qui nous prouve qu’un a priori peut ne pas résister à qui sait le questionner.
On se délectera d’une sorte d’éloge de la curiosité : Vincent Noyoux se frotte à ce qu’il ne connaît pas, ce dont on parle beaucoup sans chercher plus loin, ce qu’il craint, même. On pense ici à Cergy la banlieusarde : « l’imagination s’enflamme vite et l’on en veut aux journaux télévisés, au rap, aux films brûlots sur la banlieue autant qu’à soi-même de se laisser déborder par cette paranoïa pyromane », p.61. Certes, Vincent Noyoux n’est pas tout à fait un français moyen, il est journaliste de voyage et on se dit que c’est aussi dans son métier et dans son ADN que d’aller à l’encontre de ses préjugés. Mais peu importe, ici, l’aventure personnelle, le défi personnel surpassent largement l’expérience professionnelle car on parle bien moins de patrimoine conventionnel et de crise économique que de rencontres, d’échanges et de petits plaisirs quotidiens. D’ailleurs, n’ose-t-il pas snober la gastronomie locale à Vesoul pour y préférer un étonnant et chaleureux restaurant roumain ? Préférer au discret patrimoine historique choletais les usines Pasquier ou les improbables œuvres d’un artiste contemporain local ? Descendre en règle le musée de l’Hôtel-de-ville de Mulhouse pour préférer se rire de sa déambulation de néophyte entre les voitures du musée de l’Automobile ? Décevant ? Pas du tout ! On parle ici d’un tour de France des villes incomprises : il convient donc de les décrypter, de les amadouer, de les ménager, et en aucun cas de servir une carte postale surannée et bien-pensante. « Mulhouse [et tout ce livre, ndlr], c’est d’abord un grand bras d’honneur à Jean-Pierre Pernaut » (p.12).
Le livre se lit facilement, c’est un dialogue entre l’auteur et son lecteur. Le propos est certes parfois un peu politique, par exemple quand il s’agit de requestionner le modèle de la ville-nouvelle avec Cergy, de regretter les errements de l’économie touristique qui ose vendre une « terrine du Poilu » à Verdun, ou de déplorer l’endormissement des villes évitées par les autoroutes et lâchées par leurs petits commerces. Mais jamais trop, de sorte que le bouquin reste un livre de voyage plutôt plaisant.
Et puis c’est souvent drôle, en tout cas bien assez subtil pour que l’on ne s’offusque pas des railleries de l’auteur : « à quoi ressemble une forêt de sapins quand on lui retire ses sapins ? Probablement à quelque chose comme la Haute-Saône » (p.28) ; « Vesoul (…) ça évoque une ventouse qui n’adhère plus » (p.28) ; « Vierzon est une petite ville de 27 000 âmes située aux portes de la Sologne et aux portes de la Champagne berrichonne. Rester aux portes de tout est le propre des paillassons, mais on ne s’est pas toujours essuyé les pieds sur Vierzon. » (p.92). On pense aussi au film Bienvenue chez les Ch’tis présenté comme « documentaire des plus rigoureux sur la pluviométrie dans le nord de la France » (p. 197), ou à cette pauvre « Maubeuge à la vie nocturne de Pluton » (p. 203).
Et au moment où se dit que non, il va trop loin (Guéret, qui au passage n’est pas la ville la mieux sauvée du livre, comparée à « un œil crevé sur le plus ravissant des visages » (p.43) nous rappelle tristement l’épisode Technikart, et on compatit aussi avec la Fensch quand l’auteur croit voir dans l’encadrement d’une porte la Mort en personne, p. 153), on se rassure en réprimant un sourire à la lecture d’une blague un peu lourdingue sur cette préfecture du nord-est, en se disant que ses habitants se moqueront sans doute aussi gentiment de cette ville du sud-ouest… On rira notamment du festival de blagues absurdes sur Vesoul (p.31). Même quand on peine à trouver des éléments réellement positifs – on pense à la longue et sinistre description de la vallée de la Fensch ou la déprimante présentation de Maubeuge -, la qualité de la propose et l’application à parler des gens, et même à s’effacer derrière leurs pensées à eux, rend belles ces contrées. L’humour, d’ailleurs, permet souvent de relativiser les inconvénients de ces villes et rabat les clichés : « Ce jour-là, il est gris, comme partout ailleurs en cette saison » (p.31).
On rend de discrets hommages à ces citoyens ordinaires, qui se battent pour réhabiliter leurs villes. Des plus attendus : les guides-conférenciers, les commerçants, un blogueur à Vierzon, les Creusois échaudés par la provoc’ parisianiste de Technikart, le chanteur Anis à Cergy… Aux plus improbables : un papetier militaire à Draguignan, un boucher halal fan de fortifications Vauban à Maubeuge, et même les basketteurs américains du club de Cholet.
L’auteur parvient-il à réhabiliter ces villes ? Sans doute ceux qui n’étaient pas convaincus ne le seront pas bien davantage car ces villes ne recèlent aucun grand monument ou grand festival (l’auteur le dit d’emblée !), mais ceux qui savent lutter contre leur préjugé sauront déceler, entre les lignes, les émotions qui auront animé l’auteur. Ambiance industrielle à Mulhouse ou dans la Fensch, ambiance morbide à Vesoul, immersion picturale et littéraire à Guéret, aventure pleine de risques dans une friche cergyssoise, : on peut aussi comprendre le propos du livre comme un plaidoyer pour une curiosité subtile, ni voyeuriste ni misérabiliste, en somme pour un tourisme différent, alternatif, plus sincère et moins automatique. « On ne juge pas seulement une ville par la qualité de son patrimoine ou de ses espaces verts, mais par une foule de ressentis liés à des détails anodins : une poubelle renversée en pleine rue, le sourire d’une passante, une mauvaise toux attrapée sur une place ventée, le pain trop sec au restaurant. Une bonne séance de cinéma peut sauver un séjour. » (p. 203). Notre pays est « une mosaïque de lieux secondaires, ingrats de prime abord, décevants parfois, mais essentiels. Ils permettent au touriste de respirer, de souffler un peu entre un château et une »ville d’art et d’histoire ». Ils rappellent surtout que la France a une histoire : telle vallée sinistrée ne l’a pas toujours été ; telle station thermale a connu des jours meilleurs ; tel port a connu un âge d’or. La population est partie, les centres-villes s’étiolent, mais ces lieux ont encore quelque chose à nous dire. Il suffit de savoir les écouter. ». « Un lieu n’est insipide que parce qu’on l’a décidé. » (p. 217)
EDIT :
La contribution du Populaire qui rend justice à la vie étudiante guérétoise.
Photo : le 12:45, M6. La gare de Guéret (L.D., 2015). Cergy (L.D., 2016).
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