
Je ne pige pas grand chose à l’économie. Mais je me souviens bien entendre, sur Inter, la voix amicale de Bernard Maris qui parlait du réel, du concret, du commun, de ce qu’on avait partagé et de ce qu’on devait partager. Une voix qui pesait dans un milieu sans pitié, sans pédagogie surtout. Ça manquera.
Je ne lisais pas Charlie Hebdo. Mais je me souviens bien des caricatures qui nous faisaient tellement rire quand nous préparions notre TPE, au lycée, sur la caricature des présidents, et de toutes ces unes aussi sordides que drôles. La tignasse de Cabu. Tignous sans tabou. Les nez poivrés de Charb. La ligne claire et grasse de Wolinski. Honoré, la lumière sur l’ombre. On m’a parlé de l’humanité, de la gentillesse, du culot, de l’antimilitarisme des dessinateurs. Les amis de mes parents m’ont dit qu’ils étaient de leur génération, oubliant qu’ils avaient parfois vingt ans d’écart.
Et aussi, avant, le salon de Saint-Just en septembre, sur les planches de bois du chapiteau blanc, les dédicaces, Cartooning for Peace. Les caricatures, l’incendie. Ces dessins historiques que nous connaissons même étant nés bien après. Et puis cette impérieuse nécessité de pouvoir rire de tout, l’évidence d’une distinction entre religion et fanatisme, croyants et intégristes. Tous ces stylos en l’air, ces « Je suis Charlie » dans les rédactions, mais aussi chez les anonymes, dans la rue. Jusque dans les boutiques. Par chaînes de SMS qui avaient disparu depuis que les mots-dièse avaient tout emporté. Et sur les profils Facebook de ceux que je ne croyais pas politisés, qui n’auraient pas dû être touchés et qui l’ont été. Preuve que nous sommes tous agressés par cet acte complètement fou, qu’on ne peut pas appréhender, qu’on n’a pas assimilé. Le sentiment d’être Un, la France déboussolée mais libre et révoltée, une humanité qui persiste et se révolte à l’ère de l’individualisme, qui se dit qu’elle a peut-être à relever le défi du vivre-ensemble, de la tolérance, de la liberté… ?
La place de la République était belle. On se connaissait tous, de fait. On n’osait dire qu’on allait, même si on allait bien. On riait quand même. Mais surtout on s’interrogeait sur l’après. Sur ce qu’allaient pouvoir faire nos gouvernants. Sur ce qu’il convenait de penser. Sur ce qui pourrait empêcher d’autres folies.
Beaucoup de travail, chaque jour, partout. L’espoir, comme la peur. Mais ensemble, du moins je crois. Il faut.
Ce que vous en pensez…