> Initiez-vous à Wikipédia à Guéret

7032018

28577566_10204087043452722_7744783370232531057_nComme l’année dernière à Saint-Léonard-de-Noblat, une journée d’initiation à Wikipédia est organisée ce samedi après-midi à Guéret. Pilotée par Nicolas Bourges, contributeur installé en Creuse, cette journée à laquelle j’aurai le plaisir de participer vous invitera à comprendre comment participer à la rédaction des articles. S’ensuivront une balade en ville et une visite du musée de la Sénatorerie, qui permettront aux participants de prendre eux-mêmes les photographies des bâtiments et des œuvres qui illustreront les pages correspondantes de l’encyclopédie en ligne.

Cette journée s’inscrit dans le Mois de la contribution francophone, qui en France et dans toute la Francophonie se décline en une multitude d’ateliers ouverts à tous.

Rendez-vous est donc donné à partir de 13h30, ce samedi 10 mars, à la Quincaillerie Numérique de Guéret. N’oubliez pas de réserver rapidement ! (toutes les infos : ici).

Une bonne occasion de battre en brèche le vieux poncif de l’encyclopédie peu fiable (ce qu’elle n’est pas forcément !), en venant y contribuer soi-même ! Un moyen aussi de participer à l’animation du territoire et à un projet de partage gratuit de la connaissance et de l’usage. Enfin, quand l’on connaît la fréquentation et le très bon référencement des articles de Wikipédia, cet événement constitue peut-être l’occasion parallèle de comprendre en quoi des articles bien tournés, avec des illustrations de qualité et des références solides et variées, peuvent contribuer à valoriser les lieux auxquels ils font référence.




[PATRIMOINE] – Illustres et inconnus : valoriser les maisons des personnalités

27022018

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Les maisons natales et autres lieux de résidences de personnalités historiques constituent une niche touristique porteuse. A Limoges, peu d’entre-elles paraissent valorisables, mais un effort d’imagination et de médiation peut contribuer à faire de ces bâtiments de bons vecteurs d’intérêt pour plusieurs pans du patrimoine local.

J’ai décidé de consacrer le premier épisode de cette série aux maisons et immeubles dont la notoriété ou la valeur tiennent au séjour plus ou moins long qu’y ont effectué des personnalités plus ou moins connues.

Évoqué par Stéphane Bern lui-même, missionné par Emmanuel Macron en personne pour réfléchir à la sauvegarde du patrimoine français, et friand notoire de l’Histoire dans sa dimension biographique, ce corpus patrimonial est porteur de promesses de rayonnement. Pour peu qu’elle demeure rationnelle, du moins raisonnable, la fascination assez répandue du grand public pour le destin des personnalités, même fantasmé (le succès de programmes télévisés comme Secrets d’histoire ou Un jour un destin en est une bonne expression à mon sens), justifie quoi qu’on en pense l’intérêt des décideurs pour ce filon touristique potentiel… A condition que la valorisation de ces lieux donne aussi à comprendre un peu de l’histoire collective (comprenez : celle des petites gens, de ceux « qui ne sont rien »), et qu’elle contribue à renforcer la visibilité des autres patrimoines.

Les autorités touristiques françaises ont saisi le potentiel de ces endroits en développant des circuits touristiques qui mettent en lien et en lumière la biographie des personnalités historiques par leurs ancrages géographiques, mais qui s’attachent aussi à faire de ces lieux des vitrines plus larges sur les richesses et les spécificités locales.

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Le label « Maison des illustres », lancé par le Ministère de la Culture en 2011, regroupe actuellement plus de 200 établissements dans tout le pays. Au-delà des lieux, souvent remarquables, et des figures historiques, ce programme entend mettre en évidence les collections abritées par les bâtisses.

j demy nantesDe nombreuses collectivités ont par ailleurs développé des circuits qui articulent les différents lieux arpentés par l’enfant (célèbre) du pays ; c’est le cas entre autres de la ville de Nantes, qui dans le cadre de son label Ville d’art et d’histoire, dont Limoges dispose aussi, à créé des parcours consacrés à la vie et à la démarche créative de deux grands noms de la cité, Jacques Demy et Jules Verne.

À l’échelle internationale, le développement du programme « City of Literature » (lancé en 2004 et porté par l’UNESCO au sein du plus vaste projet Réseau des villes créatives, auquel Limoges appartient au nom de l’artisanat depuis 2017) permet d’associer au sein d’une même initiative les lieux des créateurs historiques à la création contemporaine dans une dynamique vertueuse et pourvoyeuse de retombées économiques et sociales qui ne soient pas uniquement touristiques. 28 villes sont actuellement labellisées, aucune en France. Le programme entend valoriser bibliothèques et librairies, patrimoine matériel et immatériel lié à la culture de l’écrit… L’intégration de tous ces lieux à l’offre touristique et culturelle globale entend donc participer de l’attractivité du territoire.

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La valorisation touristique et culturelle de cet ensemble de sites n’est pourtant pas évidente, et ce, pour plusieurs raisons.

La première est sans doute qu’au-delà d’un contingent de personnalités médiatiques, voire télégéniques, ces sites peineront à générer une attractivité touristique conséquente. Quelques grands auteurs, de grandes figures de notre histoire politique ou militaire contemporaine, des souverains et des scientifiques réputés concentrent l’essentiel de l’intérêt du public pour ces lieux.

Ensuite, ces lieux en tant que tels ne font l’objet d’une considération culturelle, donc d’une convoitise économique, que de manière très partielle, et pour diverses raisons (leur valeur esthétique limitée, le fait qu’il s’agisse de propriétés privées et habitées, sans parler des édifices disparus, voire non-identifiés dans la biographie de leur illustre ancien occupant). Et encore faut-il qu’ils aient quelque chose à montrer !

Enfin, ces lieux posent des questions plus morales, les mêmes qui sont posées par l’attribution d’un nom d’homme ou femme célèbre à une rue : l’individu en question est-il soupçonnable d’actes ou d’opinions répréhensibles ? En outre, le pèlerinage auxquels vont s’adonner les touristes les plus fervents peut générer, outre des problèmes de sur-fréquentation, des écarts de comportement, par exemple des tentatives d’intrusion, dont les autorités locales aiment toujours se passer. Cette fascination est-elle toujours acceptable ? Certes, ce risque me semble ne concerner que quelques rares figures à la popularité sans commune mesure avec celles dont Limoges peut se revendiquer.

Justement, qu’en est-il donc précisément à Limoges ?

La ressource apparaît plus difficilement exploitable. Non pas qu’il n’existe pas de personnalités dignes d’intérêt, ni même de personnalités suffisamment connues pour générer une attention au-delà de la préfecture haut-viennoise (on compte au moins Renoir, un des peintres les plus connus au monde) ; mais sans doute les bâtiments en question ne sont-ils pas parmi les plus éloquents. Ce filon là n’a jamais été véritablement creusé par les responsables locaux. La ville n’accueille donc aucune « Maison des Illustres », qui sont par ailleurs au nombre de 5 en Limousin (Edmond Michelet à Brive, Jean Giraudoux à Bellac, Henri Queille à Neuvic, Martin Nadaud à Soubrebost et Louis-Joseph Gay-Lussac à Saint-Léonard). Plus largement, les habitations sont souvent inaccessibles, le patrimoine peu tangible et valorisable. De nombreuses personnalités sont d’ailleurs rapidement parties de la ville sans y laisser de traces ; Renoir, pour en revenir à lui, n’a que très peu vécu à Limoges, et sa famille n’y est pas resté. Les quelques œuvres dont il est l’auteur et dont la ville dispose sont aujourd’hui au musée des Beaux-Arts – et aucune ne représente de scène explicitement limougeaude.

Qu’à cela ne tienne, il existe tout de même plusieurs bâtiments répondant à ce statut de « maison natale » à Limoges, qu’il est possible de voir de l’extérieur, à défaut d’une visite. Le blog maisons.natales.over-blog.com en recense neuf. Le Populaire avait aussi enquêté sur le sujet en 2011. Nous proposons quant à nous une liste de douze noms. Probablement en existe-t-il bien d’autres (il suffit de consulter la liste des personnalités nées à Limoges pour s’en douter). La carte ci-dessous en indique une sélection. Sont aussi mentionnées des maisons où les personnalités ont seulement vécu.

Exception faite de la maison du Maréchal Jourdan, dont le rez-de-chaussée est accessible durant l’été, aucune de ces maisons n’est ouverte à la visite. Cela n’en interdit pas pour autant l’approche, une vision extérieure. Parmi les noms, peu de personnalités véritablement « grand public » ; mais les noms secondaires permettent de lire la ville, son histoire, l’évolution de ses fonctions et de sa culture au fil des siècles. Connaître les lieux de naissance ou de vie des illustres Limougeauds, donne (un peu) à comprendre le destin des Limougeauds moins connus. Cela permet aussi de découvrir quelques histoires méconnues.

carte maisons limoges

Nicolas de la Reynie (1625-1709)
13 rue du Consulat

Premier lieutenant-général de police de Paris, il y développa l’éclairage public, lutta contre les cours des miracles et fit preuve de fermeté dans la gestion de l’Affaire des poisons. Il fut le propriétaire du château de Traslage, à Vicq-sur-Breuilh. Sa maison natale n’existe plus ; son emplacement est celui du magasin Sephora.

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Henri François D’Aguesseau (1668-1751)
15-17 rue du Consulat

Ce personnage historique, contemporain de Louis XV, exerça comme magistrat et occupa notamment le poste capital et très prestigieux de Chancelier de France entre 1717 et 1722 puis de 1727 à 1750, lui donnant la primauté sur tous les projets de loi, et où il s’illustra comme pionnier de la codification du droit. Il fut aussi président de l’Académie des sciences. Son nom et son œuvre sont aujourd’hui méconnues du grand public, mais sa présence parmi les figures représentées dans les médaillons de mosaïque de la façade de l’hôtel de ville de Limoges souligne combien sa ville natale a pu s’enorgueillir de le compter parmi ses enfants.

La restauration du bâtiment, préalable à l’installation de l’enseigne Zara en 2012, a suscité la controverse (voir à la fin de cet article).

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Jean-Baptiste Jourdan (1762-1833)
37 rue du Pont Saint-Etienne

IMG_2439La maison natale du maréchal Jourdan, ouverte au public depuis de nombreuses années par le biais d’un accord conclu entre une association de maquettistes et la Ville de Limoges, est la seule des maisons natales limougeaudes qui soit accessible au public et présentée comme telle aux visiteurs. Pour autant, aucune reconstitution à l’intérieur ne prétend renvoyer à la vie du XVIIIe siècle ni ne renferme aucun objet ayant pu appartenir à son illustre occupant. Le rez-de-chaussée du bâtiment, qui aurait besoin d’une bonne rénovation, est ouvert en période estivale puisqu’il accueille une exposition permanente de figurines et une reconstitution – un peu désuète il faut le dire – de la bataille de Fleurus (1794), fait d’armes magistral et décisif de Jourdan qui sauva la Révolution française. Républicain engagé en politique, Jourdan est également l’instigateur du service militaire obligatoire. Il ne fut jamais en odeur de sainteté avec Napoléon, ce qui n’empêcha pas ce dernier de le faire maréchal d’Empire dès 1804. Jourdan termina sa carrière comme gouverneur des Invalides.

Cette maison gagnerait à être rénovée.

 

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Thomas Robert Bugeaud (1784-1849)
Angle de la rue du Consulat et de la rue Cruche d’Or

IMG_0620Soldat napoléonien d’origine périgourdine, député sous la Restauration, Bugeaud joue ensuite un rôle central dans la colonisation de l’Algérie dans les années 1840. Un temps pressenti pour se porter candidat à la présidence de la République en 1848, il est à sa mort inhumé aux Invalides.

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Michel Chevalier (1806-1879)
20 place d’Aine

Parlementaire du Second Empire, Chevalier est connu comme économiste libéral ; il détint la chaire d’économie au Collège de France en 1841, présida le jury de l’Exposition universelle de 1867 et milita pour la construction d’un tunnel sous la Manche.

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Emile Montégut (1825-1895)
18-20 rue Elie Berthet

montegutEssayiste et journaliste, fidèle critique littéraire à la Revue des Deux Mondes, Montégut fut candidat malheureux à l’Académie française un an avant sa mort. Il est aujourd’hui pour le moins oublié, à l’image du délabrement relatif du médaillon qui l’honore sur la façade de sa maison natale.

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Marie François Sadi Carnot (1837-1894)
14bis boulevard Carnot

Président de la République de 1887 à 1894, Sadi Carnot est peut-être plus largement connu pour son assassinat, fait d’un anarchiste italien, qui lui valut sans nul doute l’inhumation au Panthéon, fait unique à ce jour pour un Chef d’État. Durant sa présidence, Carnot est revenu trois fois en visite officielle à Limoges (je l’évoquais ici en 2012). C’est lors de la première d’entre elles, quelques mois après son élection, en 1888, que fut inaugurée la plaque sur la façade de la maison. Elle omet toutefois de mentionner que l’acte de naissance de Sadi Carnot le fait naître rue Neuve Sainte-Valérie, actuelle rue du Général Cérez, à quelques mètres du boulevard Carnot…

Le boulevard où se situe la maison détient la particularité d’honorer deux personnes différentes selon l’extrémité duquel à laquelle on se trouve (j’en avais déjà parlé en 2008) : le Président, et son grand-oncle Lazare, révolutionnaire et physicien, par ailleurs honoré d’une place dans le quartier des Emailleurs.

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Jules Clarétie (1840-1913)
rue Jules Noriac

Aujourd’hui oublié, quoiqu’une rue de Limoges lui rendre encore hommage, Clarétie fut populaire en son temps ; pilier mondain des Limousin de Paris, auteur de très nombreux ouvrages (romans, nouvelles, pièces de théâtre), dont il place souvent l’intrigue en Limousin, il dirigea également la Comédie française et fut élu à l’Académie en 1888. Il est difficile de déterminer si sa maison natale, étudiée en 1935 par Henri Hugon, érudit local et beau-père de Robert Margerit, est encore visible aujourd’hui.

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Pierre Auguste Renoir (1841-1919)
71 boulevard Gambetta, alors boulevard Sainte-Catherine

Le célèbre peintre mondialement connu n’a passé que les trois premières années de sa vie à Limoges, où ses parents exercent respectivement comme tailleur et couturière.

L’immeuble résidentiel – pas le plus élégant du boulevard – accueille désormais notamment des bureaux d’avocats.

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Maryse Bastié (1898-1952)
20 rue Maryse Bastié (ancienne rue de Beaumont)

Maryse Bastié commença comme piqueuse sur cuir dans une usine à chaussures. Louis Bastié, son époux, l’initie à l’aviation, dont elle va devenir une figure emblématique. Encouragée par Mermoz, elle se lance et bat un premier record de traversée de l’Atlantique sud en 1936, mais meurt lors d’un meeting aérien à Bron, près de Lyon. Dès 1953, le conseil municipal de Limoges décide de donner son nom à la rue où se situe sa maison natale. Celle-ci n’existe plus mais une petite plaque en marbre l’évoque, détonant un peu sur le portail d’un pavillon contemporain…

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Georges-Emmanuel Clancier (né en 1914)
7 rue Bernard Palissy

Cette figure de la littérature et de la poésie françaises contemporaines, connu pour sa fresque limougeaude Le Pain noir, et reconnu par l’Académie française qui lui a décerné son Grand prix de Littérature en 1971, est né dans une bâtisse de la rue Bernard Palissy, dans le quartier Montmailler, qu’il évoque dans L’Enfant double, en 1998, comme rappelé sur le site GéoCulture : « Notre rue n’était pas tellement passante, sauf aux jours de foire, car elle reliait précisément le champ de foire à l’une des deux gares de la ville : la gare Montjovis. De sorte que ces jours-là, dès avant l’aube et jusqu’à la nuit tombée, il régnait dans la rue une étrange affluence (…) ». Aujourd’hui plus que centenaire, Georges-Emmanuel Clancier réside à Paris.

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Citons plus rapidement Léon Faucher, ministre de l’Intérieur de Louis-Napoléon Bonaparte, né place des Bancs, le médecin Jean Cruveilhier, qui vit le jour dans l’ancien quartier du Verdurier, ou encore le général d’Empire Martial Beyrand, natif du boulevard Gambetta. D’autres « célébrités » limougeaudes, comme le révolutionnaire Victurnien Vergniaud, l’ingénieur ferroviaire Paulin Talabot ou le sculpteur Henri Coutheillas, attendent peut-être encore les recherches qui révèleront au grand public le lieu de leur venue au monde…

 

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Les mœurs changent, et désormais bien rares sont les naissances à domicile. Le concept de « maison natale » a vécu. Il sera toutefois toujours possible de valoriser les lieux de vie. D’autres recherches nous permettent d’identifier quelques maisons qui l’espace d’une nuit ou pour toute une vie, ont accueilli des noms plus ou moins connu du monde des arts ou de la politique… Tel est le cas de l’écrivain japonais Shimazaki Toson, encore aujourd’hui très célèbre dans son pays qu’il avait fui pour un scandale de mœurs, en 1914. Exilé en France, il fut hébergé quelques semaines au 107 rue de Babylone dans une maison arborant une plaque commémorative qui mériterait un peu de pédagogie et de nettoyage (voir photos ci-dessus). De ses écrits de l’époque nous restent une description de la ville et de ses habitants, consignés dans L’Étranger, alors que la Grande guerre vient d’éclater (à consulter sur GéoCulture).

« Sur la rive opposée, sur le terrain en pente, on entrevoyait, à travers les arbres, des maisons rustiques alignées, ainsi que des jardins cultivés. [...] De la fenêtre, j’apercevais le chemin de Babylone à travers des treilles que recouvraient des sarments. Sur la colline, la prairie s’étendait jusqu’au bord de la rue et il arrivait que se reflètent, dans les vitres de la fenêtre derrière laquelle j’écrivais, les têtes des vaches qui s’avançaient jusqu’au bout du rocher rouge. »

Citons aussi le créateur Jean-Charles de Castelbajac, longtemps installé dans un atelier du quartier de la Cité, devenu restaurant (« Chez Nous »), ou l’artiste dadaïste autrichien Raoul Hausmann, qui vécut au 80 rue Aristide Briand avant de finir sa vie dans un appartement de la rue Neuve Saint-Etienne, devant lequel une inscription déjà très dégradée a été installée il y a quelques années par la Ville de Limoges… Une réfection au profit d’un matériau plus adapté s’imposerait. Heureusement qu’un panneau plutôt réussi complète l’installation.

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Que faire ?

La mise en place d’un circuit touristique thématique pourrait être étudiée. Le scénario de ce parcours pourrait suivre une évocation parallèle de ce que ces lieux et de leurs occupants soulèvent en termes de styles architecturaux, de mouvements artistiques et politiques, d’événements locaux à portée nationale… Par exemple, la maison natale du maréchal Jourdan, typique de l’architecture à pans de bois du quartier de la Cité. Ou le cas de la maison natale d’Aguesseau, emblématique du recours controversé au façadisme des rénovations du début du XXIe siècle (l’intérieur originel n’a pas été conservé quand l’enseigne Zara s’est installée, causant notamment la disparition de boiseries dont la préservation avait pourtant été promise).

Une animation par le biais d’une programmation occasionnelle du service Ville d’art et d’histoire et de l’Office du tourisme, suivant le modèle de la balade « sur les traces de Balzac » organisée lors de Lire à Limoges au printemps 2017, pourrait s’envisager et compléter de façon plus attractive l’interprétation de ce patrimoine. Les noms les plus connus pourraient être retenus en priorité. Le principe des balades théâtrales conçues par le service Ville d’art et d’histoire autour de certaines de ces « célébrités » (Aliénor, Raoul et leur suite…) pourrait être reconduit et étendu.

Les personnalités, célèbres ou non, sont toutes à l’œuvre dans la construction du patrimoine commun ; les considérer et en valoriser l’histoire, ce que celle-ci porte de résonances collectives, c’est aussi participer de la cohésion de la société.

Prochain épisode : Ils sont Monuments historiques… et on ne le savait pas !

Crédits photo : Ministère de la Culture ; Ville de Nantes ; Edinburgh City of Literature ; Google Street View ; L. Destrem (carte, photos de la maison de T. Shimazaki, de R. Hausmann, de Bugeaud  et de Jourdan).




> Une nouvelle série thématique à suivre…

29012018

patrimoines meconnus

Me voici de retour pour lancer une petite série thématique, que j’envisageais initialement estivale. Comme je vous avoue trouver de moins en moins de temps à consacrer à ce blog, ce nouveau feuilleton ne sera pas borné dans le temps, et constituera un work in progress à l’issue indéfinie… Cela devrait me permettre de matérialiser mon attachement perpétuel à l’égard du Limousin, et de concilier sans trop de contraintes les différents (et futurs) engagements qui aujourd’hui et demain, occupent et occuperont mes journées…

Par cette invitation à la déambulation, par ce carnet de voyage de proximité, je vais chercher à vous proposer, chers lecteurs, amoureux de Limoges et de cette « terre du milieu » confirmés ou en devenir, mais aussi à vous qui considérez que cette ville n’a que peu de choses à montrer, de regarder différemment le paysage et l’histoire de l’ex-capitale limousine. L’idée est aussi d’en saisir, par cette découverte d’un patrimoine méconnu, les forces cachées et potentiels de développement, à même de garantir une qualité de vie, une curiosité partagée, un dynamisme économique et culturel appréciables. Peut-être décèlerez-vous donc de surcroît dans mon propos – mais ce n’est pas nouveau – une forme d’interpellation des décideurs locaux, une invitation à ce qu’ils prennent en considération ces richesses, ces spécificités*. À l’heure où se joue le sort de lieux cruciaux comme la place de la République ou les bords de Vienne, qui s’apprêtent à changer, renouveler leur visage, et alors que la ville doit trouver sa place dans une région sans doute un peu trop grande pour elle, toutes les occasions me paraissent bonnes pour rappeler combien Limoges et ses alentours détiennent un patrimoine riche et à exploiter, et que chacun doit pouvoir en profiter…

Premier épisode à suivre très prochainement, consacré aux maisons de personnalités historiques, à leur valeur patrimoniale et à leur potentiel touristique.

*A ce titre, cette série prolonge les réflexions et les valeurs que j’ai souhaité défendre avec mes camarades de l’association 55 citoyens pour Limoges dans un dossier thématique consacré au patrimoine urbain de la ville de Limoges, présenté en 2014 à la municipalité, resté lettre morte. Les propositions que je ferai sur mon blog s’inspireront de l’esprit de ce dossier, mais bien entendu je n’engage nullement sans leur assentiment les autres adhérents de l’association, association dont les positions sont régulièrement présentées sur le blog http://55pourlimoges.unblog.fr.




> Revue littéraire : Tour de France des villes incomprises, de Vincent Noyoux

25092016

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1507-1Sorti au printemps dernier, Tour de France des villes incomprises, de Vincent Noyoux, brosse un portrait de quelques-uns de ces coins de France à la réputation aléatoire. Pari intéressant que d’aborder une nouvelle fois la question des imaginaires géographiques en se confrontant directement à l’expérience du terrain et de la rencontre. Le résultat sera-t-il à la hauteur du défi ?

Elles sont douze à avoir été arbitrairement sélectionnées : Mulhouse, Vesoul, Guéret, Cholet, Vierzon, Cergy, Saint-Nazaire, la vallée de la Fensch, Verdun, Maubeuge, Châtel-Guyon et Draguignan. Vincent Noyoux a choisi, au fil d’une année, de s’y rendre pour vérifier si ce que l’on en dit de plutôt mal – isolement, ennui, laideur, misère… – est vrai. Deux ou trois jours sur place, à chaque fois. L’expérience est bien entendu subjective : certaines contrées ont moins de chance que d’autres au sens où elles seront visitées un jour de pluie, en plein novembre, un jour de fermeture des magasins… Qu’importe. On compte davantage sur l’engagement et la bonne foi du narrateur que sur sa bien-pensance, pour déceler le positif qui sommeille en ces petites cités.

D’emblée, on doute, car les poncifs sont bien présents. Parlant de Mulhouse : « on n’y trouve pas de bars branchés ni d’abbayes classées. (…) On n’y croise aucune célébrité. » (p. 8) Mais rapidement, la subtilité du style dénote le volontarisme de Vincent Noyoux à trouver ce qui peut plaire en ces villes. Non, ce n’est pas dans le guide touristique décalé que donne l’auteur, car celui-ci ne se prive pas de critiquer ce qui ne lui plaît pas. Mais on le sent réellement touché par ces villes dépréciées, et c’est cette sincérité, qui transparaît dans les passages très bien racontés, les émerveillements non feints, les surprises communicatives de ce road trip personnel et attachant, qui nous prouve qu’un a priori peut ne pas résister à qui sait le questionner.

On se délectera d’une sorte d’éloge de la curiosité : Vincent Noyoux se frotte à ce qu’il ne connaît pas, ce dont on parle beaucoup sans chercher plus loin, ce qu’il craint, même. On pense ici à Cergy la banlieusarde : « l’imagination s’enflamme vite et l’on en veut aux journaux télévisés, au rap, aux films brûlots sur la banlieue autant qu’à soi-même de se laisser déborder par cette paranoïa pyromane », p.61. Certes, Vincent Noyoux n’est pas tout à fait un français moyen, il est journaliste de voyage et on se dit que c’est aussi dans son métier et dans son ADN que d’aller à l’encontre de ses préjugés. Mais peu importe, ici, l’aventure personnelle, le défi personnel surpassent largement l’expérience professionnelle car on parle bien moins de patrimoine conventionnel et de crise économique que de rencontres, d’échanges et de petits plaisirs quotidiens. D’ailleurs, n’ose-t-il pas snober la gastronomie locale à Vesoul pour y préférer un étonnant et chaleureux restaurant roumain ? Préférer au discret patrimoine historique choletais les usines Pasquier ou les improbables œuvres d’un artiste contemporain local ? Descendre en règle le musée de l’Hôtel-de-ville de Mulhouse pour préférer se rire de sa déambulation de néophyte entre les voitures du musée de l’Automobile ? Décevant ? Pas du tout ! On parle ici d’un tour de France des villes incomprises : il convient donc de les décrypter, de les amadouer, de les ménager, et en aucun cas de servir une carte postale surannée et bien-pensante. « Mulhouse [et tout ce livre, ndlr], c’est d’abord un grand bras d’honneur à Jean-Pierre Pernaut » (p.12).

ob_6489f7_1Le livre se lit facilement, c’est un dialogue entre l’auteur et son lecteur. Le propos est certes parfois un peu politique, par exemple quand il s’agit de requestionner le modèle de la ville-nouvelle avec Cergy, de regretter les errements de l’économie touristique qui ose vendre une « terrine du Poilu » à Verdun, ou de déplorer l’endormissement des villes évitées par les autoroutes et lâchées par leurs petits commerces. Mais jamais trop, de sorte que le bouquin reste un livre de voyage plutôt plaisant.

Et puis c’est souvent drôle, en tout cas bien assez subtil pour que l’on ne s’offusque pas des railleries de l’auteur : « à quoi ressemble une forêt de sapins quand on lui retire ses sapins ? Probablement à quelque chose comme la Haute-Saône » (p.28) ; « Vesoul (…) ça évoque une ventouse qui n’adhère plus » (p.28) ; « Vierzon est une petite ville de 27 000 âmes située aux portes de la Sologne et aux portes de la Champagne berrichonne. Rester aux portes de tout est le propre des paillassons, mais on ne s’est pas toujours essuyé les pieds sur Vierzon. » (p.92). On pense aussi au film Bienvenue chez les Ch’tis présenté comme « documentaire des plus rigoureux sur la pluviométrie dans le nord de la France » (p. 197), ou à cette pauvre « Maubeuge à la vie nocturne de Pluton » (p. 203).

DSC_0089Et au moment où se dit que non, il va trop loin (Guéret, qui au passage n’est pas la ville la mieux sauvée du livre, comparée à « un œil crevé sur le plus ravissant des visages » (p.43) nous rappelle tristement l’épisode Technikart, et on compatit aussi avec la Fensch quand l’auteur croit voir dans l’encadrement d’une porte la Mort en personne, p. 153), on se rassure en réprimant un sourire à la lecture d’une blague un peu lourdingue sur cette préfecture du nord-est, en se disant que ses habitants se moqueront sans doute aussi gentiment de cette ville du sud-ouest… On rira notamment du festival de blagues absurdes sur Vesoul (p.31). Même quand on peine à trouver des éléments réellement positifs – on pense à la longue et sinistre description de la vallée de la Fensch ou la déprimante présentation de Maubeuge -, la qualité de la propose et l’application à parler des gens, et même à s’effacer derrière leurs pensées à eux, rend belles ces contrées. L’humour, d’ailleurs, permet souvent de relativiser les inconvénients de ces villes et rabat les clichés : « Ce jour-là, il est gris, comme partout ailleurs en cette saison » (p.31).

On rend de discrets hommages à ces citoyens ordinaires, qui se battent pour réhabiliter leurs villes. Des plus attendus : les guides-conférenciers, les commerçants, un blogueur à Vierzon, les Creusois échaudés par la provoc’ parisianiste de Technikart, le chanteur Anis à Cergy… Aux plus improbables : un papetier militaire à Draguignan, un boucher halal fan de fortifications Vauban à Maubeuge, et même les basketteurs américains du club de Cholet.

Capture d’écran 2016-09-25 à 01.07.53L’auteur parvient-il à réhabiliter ces villes ? Sans doute ceux qui n’étaient pas convaincus ne le seront pas bien davantage car ces villes ne recèlent aucun grand monument ou grand festival (l’auteur le dit d’emblée !), mais ceux qui savent lutter contre leur préjugé sauront déceler, entre les lignes, les émotions qui auront animé l’auteur. Ambiance industrielle à Mulhouse ou dans la Fensch, ambiance morbide à Vesoul, immersion picturale et littéraire à Guéret, aventure pleine de risques dans une friche cergyssoise, : on peut aussi comprendre le propos du livre comme un plaidoyer pour une curiosité subtile, ni voyeuriste ni misérabiliste, en somme pour un tourisme différent, alternatif, plus sincère et moins automatique. « On ne juge pas seulement une ville par la qualité de son patrimoine ou de ses espaces verts, mais par une foule de ressentis liés à des détails anodins : une poubelle renversée en pleine rue, le sourire d’une passante, une mauvaise toux attrapée sur une place ventée, le pain trop sec au restaurant. Une bonne séance de cinéma peut sauver un séjour. » (p. 203). Notre pays est « une mosaïque de lieux secondaires, ingrats de prime abord, décevants parfois, mais essentiels. Ils permettent au touriste de respirer, de souffler un peu entre un château et une  »ville d’art et d’histoire ». Ils rappellent surtout que la France a une histoire : telle vallée sinistrée ne l’a pas toujours été ; telle station thermale a connu des jours meilleurs ; tel port a connu un âge d’or. La population est partie, les centres-villes s’étiolent, mais ces lieux ont encore quelque chose à nous dire. Il suffit de savoir les écouter. ». « Un lieu n’est insipide que parce qu’on l’a décidé. » (p. 217)

EDIT : fichier pdf La contribution du Populaire qui rend justice à la vie étudiante guérétoise. :-)

Photo : le 12:45, M6. La gare de Guéret (L.D., 2015). Cergy (L.D., 2016).




> A choisir, une Aquitaine « grande » plus que « nouvelle »

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Et voilà qu’une pétition refusant le nom de « Nouvelle Aquitaine » pour notre grande région, rencontrerait un grand succès sur Internet. Je ne l’ai pas signée. Et pour cause : je pense que deux combats se mélangent dans cet argumentaire, et que ne pas le reconnaître serait faire preuve d’une précipitation contre-productive.

Pour autant, j’ai hésité à y ajouter mon nom, car je comprends tout à fait les revendications des signataires de la pétition, qui voient dans ce nouveau nom une validation de la velléité expansionniste de l’ancienne région administrative Aquitaine, et derrière-elle les prétentions de quelques notables bordelais désireux de faire du Limousin et de Poitou-Charentes un « arrière-pays (si possible) dynamique ». En vérité, au-delà du nom, les craintes exprimées renvoient davantage aux motivations et aux effets potentiels et profonds de cette réforme territoriale bien bancale. Pour rappel, sans concertation aucune, sans justification économique et géographique satisfaisante, le Gouvernement, en accord avec quelques barons locaux, a consacré un redécoupage hasardeux et inégal sous prétexte tacite qu’il lui faudrait bien laisser son empreinte dans les livres d’Histoire (G. Vandenbroucke lui-même a très tôt estimé que l’argument des économies de fonctionnement, initialement avancé, était fallacieux).

Les signataires de la pétition ont raison de s’interroger quant aux effets de la fusion, tant l’impréparation a conduit cette opération plus médiatique que bénéfique. Cependant, je pense qu’il est désormais grand temps de donner toutes ses chances à cette fusion des régions, et croire aux bonnes volontés apparentes des élus régionaux démocratiquement désignés en décembre dernier. Je le reconnais, c’est un brin inconfortable et moralement critiquable, mais avons-nous d’autre choix que celui d’une confiance vigilante ?

Venons-en au nom, car celui-ci n’est pas qu’un prétexte, il est un sujet en soi.

Je remarque que la pétition ne défend aucune dénomination alternative, mais je ne doute pas que derrière cette omission, plus fédératrice, se cachent certaines des propositions présentées au printemps dans le cadre du vote indicatif en ligne sur magranderegion.fr. Je pense en particulier à « Sud Ouest Atlantique », pour lequel Jean-Paul Denanot vient d’ailleurs de prendre position sur Facebook, et qui hélas me paraîtrait consacrer de façon flagrante la victoire du marketing sur l’ancrage territorial et le territoire vécu (comment nommerait-on les habitants ?). Étonnant quand on se souvient que la petite taille et le nom de notre Limousin n’ont semble-t-il jamais posé souci sur la scène européenne, comme le martelait Robert Savy et comme a dû s’en rendre compte son successeur à la présidence de région. M. Denanot ne pense-t-il pas qu’il existe des alternatives à ces deux faux bons choix ?

« Aquitaine », choix défendu par la Rencontre des historiens du Limousin, m’a paru initialement plutôt pertinent : rappelons une nouvelle fois que le terme d’ « Aquitaine » existait bien avant que la région administrative du même nom ne se le voie réservé il y a un demi-siècle, qu’il englobait le Poitou, les Charentes, le Limousin (et même jusqu’à l’Auvergne), et que ce choix allait même jusqu’à rendre justice sans le dire trop fort à Limoges, cité où furent couronnés les ducs d’Aquitaine. Cependant, je pense avoir réalisé que la pertinence historique, fut-elle scientifiquement et culturellement indéniable, ne saurait à elle-seule justifier le choix d’un toponyme contemporain et susciter l’adhésion du plus grand nombre. Nous autres, habitants du XXIe siècle, n’avons-nous pas d’ailleurs, dans ce bouleversement historique qu’est la réforme territoriale, un droit à la re-création toponymique ? C’est peut-être à tort que nous nous sentons dépossédés par cette « Aquitaine » (encore une fois, c’était ce que je disais précédemment, « Aquitaine » nous appartient à tous), mais ce sentiment, parce qu’il est légitime, ne peut-il pas justifier le choix d’un véritable nouveau nom ?

Ainsi, « Aquitaine » ne peut apparemment servir de dénominateur commun ; l’imposer serait amplifier la fronde. Je crains toutefois que « Nouvelle-Aquitaine » ne soit pas mieux.

Vous allez me dire girouette, mais j’ai dans un second temps pensé que « Nouvelle-Aquitaine » ne serait pas si mal : on nuançait l’annexion en associant l’historicité d’ « Aquitaine » à l’avenir, on voulait ouvrir une page commune aux territoires nouvellement associés. Mais voilà, le mot « Nouvelle » aura été pris pour une tentative de gommage de l’ancien, du passé, de la mémoire. Dans le contexte que nous traversons, ce serait difficile à accepter. Imposer un « nouveau » est d’ailleurs souvent douteux ; cela cache souvent un malaise, une difficulté à gérer un moment, un passage, sinon une fébrilité à transformer une promesse en réussite (ne me demandez pas pourquoi, je pense d’un coup au « Nouveau Parti Anticapitaliste »). Se dire « nouveau » ne suffit pas à engager un nouvel élan. Sans compter que cette appellation ne peut se prévaloir elle seule d’un assentiment collectif, si l’on se réfère au vote en ligne qui plaçait en tête Aquitaine aux côtés de ses dérivés, sans préférence explicite à « Nouvelle-Aquitaine ».

En outre, je m’étonne que plusieurs aient fait observer que la Nouvelle-Zélande ou la Nouvelle-Calédonie, avaient continué d’exister sous ces noms même des siècles après leur baptême. C’est juste. Mais si ces appellations sont bien entendu aujourd’hui tout à fait rentrées dans notre vocabulaire et ne souffrent a priori plus aucune contestation – qui se souvient que la Nouvelle-Calédonie doit son nom par la similitude apparente de ses paysages avec ceux de l’Ecosse ? – doit-on rappeler qu’elles ont toutes été le fruit de conquêtes ou explorations à visées coloniales ? Je ne tiens pas ici à relancer le glissant débat sur les bienfaits hypothétiques de la colonisation, mais justifier le choix de « Nouvelle Aquitaine » en invoquant ces exemples me semble au moins aussi discutable que d’en appeler au « Sud-Ouest Atlantique » au nom de la visibilité internationale. Parler de « Nouvelle Aquitaine » reviendrait à faire du Limousin et de Poitou-Charentes une découverte des explorateurs bordelais ?! On aurait cherché à prouver qu’annexion il n’y avait pas, c’eût été raté. Paf, tout est à refaire.

Pour autant, par quoi d’autre pouvons-nous remplacer l’indigeste « ALPC », heureusement provisoire, pour qualifier au mieux notre grand territoire ? Je n’ai pas de proposition miraculeuse. Cependant, ne parlons-nous pas de « grande région » depuis des mois pour qualifier ce grand territoire ? N’est-ce pas dans sa grandeur que la région saura tous nous accueillir, nous réunir ?

« Grande Aquitaine », voilà un terme qui fait de Limousin et de Poitou-Charentes les facteurs de transformation de la simple Aquitaine en une grande région solidaire et fédératrice. Sans l’un de ses trois piliers, ALPC serait vraiment « à poil », boiteuse, une sorte de « moyenne région » en somme. Alors osons affirmer cette grandeur, qui sera autant celle des plages atlantiques, des forêts limousines, des montagnes pyrénéennes, que celle de nos ambitions et de notre souci d’avancer ensemble…

« Aquitaine » n’était pas tenable.
« Nouvelle-Aquitaine » ? Bof.
« Sud-Ouest Atlantique », laissons-ça au tourisme (à la rigueur).
Je vote – non sans réserves – pour « Grande Aquitaine ».

Et comme l’a présenté de façon humoristique le site buzzfeed, le Limousin n’aura pas besoin d’exister en tant qu’appellation administrative officielle pour continuer à exister en tant que territoire culturel, social et politique ! Pour finir, voilà quatre choix emblématiques, plus ou moins symboliques, qui me semblent essentiels pour concrétiser cet espoir et dissiper les malentendus :

  • nommer une grande rue de Limoges « avenue du Limousin » ;
  • exiger jusqu’au bout que la DRAF soit bien installée à Limoges ;
  • engager une véritable réflexion sur la modernisation d’un triangle ferroviaire Bordeaux-Limoges-Poitiers ;
  • préparer un projet d’extension du Parc naturel régional Périgord-Limousin au département voisin de la Charente, pour que le point d’intersection des trois anciennes régions passe du statut de pôle d’inaccessibilité à celui de point de convergence (j’y reviendrai).

« Grande Aquitaine », un terme qui chiffonnera peut-être les historiens, mais qui me semble à ce jour le plus à même de concilier nos mémoires contrariées et nos consciences échaudées.

Crédit photo : captures Google Street View, panneaux d’entrée des régions Aquitaine (sur l’A89 en venant de Brive), Limousin (sur la RN 141 en venant d’Angoulême) et Poitou-Charentes (sur l’A83 en venant de Nantes).




> Revue littéraire : Régions à la découpe, de P. Orcier

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À la toute fin 2015, alors que l’on s’apprêtait à élire les premiers élus de nos régions redécoupées, paraissait un petit ouvrage original, Régions à la découpe. Ce livre signé Pascal Orcier, est en fait un atlas – et c’est en ce sens qu’il est très accessible –, riche de très nombreuses cartes présentant les innombrables découpages que notre pays a subi ou aurait pu subir.

Venu ponctuer près de deux années de débats houleux sur le découpage des nouvelles régions, son bien fondé et ses effets supposés, ce petit opuscule ne cherche toutefois pas spécialement à montrer en quoi la dernière réforme territoriale aurait pu s’organiser autrement (l’auteur ose tout juste présenter une proposition alternative en fin d’ouvrage).

Il s’agit en vérité de la relativiser en la replaçant dans un contexte historique de dizaines de découpages successifs, non sans un brin de sentimentalisme il est vrai, avec ces belles cartes colorées qui rappellent les tableaux d’école. Il s’agit aussi de comparer cette dernière réforme aux découpages imaginés par des acteurs plus discrets mais tout autant prégnants dans notre quotidien, comme les chercheurs mais aussi les entreprises. Si ce n’est pas une belle preuve de l’invalidité de la théorie un temps consacrée des ultra-libéraux qui pensaient que la mondialisation signerait la fin des territoires ! Car dans les faits, l’homme spatial (coucou Lussault) ne peut s’empêcher de découper et recouper son environnement duquel il entend extraire la légitimité de son pouvoir, et sur lequel il doit structurer sa présence pour optimiser son action. N’est-on pas l’élu d’un groupe, donc d’une circonscription, d’une entité, avant d’être un représentant légitime de la République ? Un commercial ne cherche-t-il pas à rationaliser l’écoulement de sa production sur une aire de chalandise adaptée à ses moyens ? Un écologue peut-il vraiment prétendre gérer des milliers de kilomètres carrés d’espaces naturels sans se passer d’un découpage qui bornera l’aire d’autorité de son expertise vis-à-vis de son homologue et voisin ? Les législations, les autorités, les finances s’appuient bien sur des cadres délimités.

Le livre se « découpe » en quatre parties. La première, conventionnelle, est consacrée à la construction de notre territoire national. On apprendra sans doute peu de choses, mais on prendra conscience que le Limousin était déjà Aquitain du temps des Gaulois, et on ne se lassera pas de la carte des 130 départements français du Premier Empire, où Rome, Hambourg, Amsterdam et Barcelone étaient comme Limoges, Tulle ou Guéret, des préfectures de départements. La deuxième fait non sans nostalgie la part belle à nos aires culturelles (langue, gastronomie, architecture, éducation, politique). La troisième, cœur du propos, passe en détail tous les découpages délibérés et institutionnels. Outre les découpages administratifs de base, on en connaît un certain nombre : au détour des panneaux, des courriers officiels et des attentes téléphoniques, on a dû déjà se rendre compte que l’on donnait son sang en Aquitaine-Limousin, que nos finances publiques étaient vérifiées en Centre-Limousin, que notre compte Caisse d’Epargne était Auvergnat-Limousin. La dernière, celle des utopies, évoque certaines idées jamais concrétisées, des projets révolutionnaires au rapport Balladur, nous apprenant par exemple que le géographe Jean-Marie Miossec rêvait pas plus tard qu’en 2008 d’un projet intéressant de redécoupage égalitariste des régions mais aussi des départements, qui aurait rattaché la Charente limousine, le Lot et la Dordogne au Limousin (tiens tiens, j’avais presque esquissé l’idée il y a sept ans).

Si les petits commentaires de l’auteur, en bas de chaque carte, éclairent le contexte et les raisons de tel ou tel découpage, un petit regret, du moins se plait-on à en rêver : on serait tout de même bien content d’avoir à côté de chaque carte le témoignage du responsable du découpage en question venant justifier et défendre son bricolage ! Ici la direction de Système U qui rapproche la Haute-Vienne du grand Sud, là celle de Casino qui nous place en Vallée du Rhône, ou bien les éditeurs du guide Michelin qui nous ont toujours unis au Berry. Entre projections économistes, nostalgiques et visionnaires, peut-être comprendrait-on davantage quelles sont les valeurs, les idéologies et les représentations qui, au-delà de la chimère du « rationnel » et de l’ « objectif », rabâchée à longueur d’interviews télévisées, animent nos décideurs.

On apprendra enfin que, concernant notre nouvelle grande région, quelques-uns semblent en avoir anticipé les contours : les autorités de la IVe République avec leurs régions économiques de 1948, l’administration pénitentiaire et les éditions Hachette, qui sont les trois acteurs présentés dans l’ouvrage dont le découpage prenait déjà la forme de la région ALPC !

Régions à la découpe intéressera tous ceux que le grand cirque de la dernière réforme territoriale a passionné, mais aussi tous ceux qui aiment se poser des questions sur la justification de telle ou telle limite. Y apporter des réponses, voire, mais puisse cet ouvrage au moins contribuer à entretenir notre curiosité collective, et placer un peu de géographie entre les mains de chacun.

Photo : L.D., 2016

Régions à la découpe, de Pascal Orcier, Atlande, 143 pages (19 €)
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