> Le PNR Périgord-Limousin : une « fabrique à cohésion » pour la Nouvelle-Aquitaine ?
31052018La réforme territoriale a beau être actée, la carte des régions validée, et les nouvelles politiques bien lancées, il va sans doute falloir du temps pour s’habituer à ce nouveau territoire, faire en sorte que les stratégies régionales s’harmonisent au mieux et bénéficient à tous de façon équitable et que la cohésion se fasse (le CESER planche sur le sujet). Pour l’instant, en dépit de statistiques que l’on dit plus ou moins mauvaises (voir à ce titre deux analyses dans La Montagne du 13 décembre 2017 et Le Populaire du 8 janvier), un certain nombre d’inquiétudes demeurent, et la crainte de voir le Limousin réduit au rang d’ « arrière-pays [plus ou moins] dynamique » n’est pas écartée. En témoignent la mobilisation citoyenne des derniers mois autour du départ éventuel de la cour d’appel de Limoges, puis le désarroi des élus locaux concernant l’absence de soutien de l’État pour une modernisation de la RN 147 entre Limoges et Poitiers, ou la suppression du rectorat tout récemment.
Aux gestes d’apaisement (comme l’attribution de deux vice-présidences stratégiques aux élus de Haute-Vienne dans l’exécutif régional), destinés à ménager les états-majors et les responsables économiques, ont succédé quelques engagements forts se voulant rassurants, sur la question des transports ferroviaires notamment. Mais d’autres réalités, qu’elles soient assez directement imputables à la réforme (la suppression de l’AVEC en Limousin l’an dernier ou les menaces sur certaines formations universitaires), ou qu’elles soient surtout révélatrices d’un développement territorial à deux vitesses entre les grandes métropoles et les zones rurales, imposent à chacun d’entre-nous d’être vigilants et déterminés. Car c’est aussi à la société civile de réagir ! Transports, développement économique harmonisé, politiques culturelles… les thématiques qui attendent notre mobilisation et nos initiatives ne manquent pas.
À ce sujet, un projet porteur me semble intéressant à valoriser dans l’optique d’une cohésion réelle des trois territoires ainsi fusionnés. Il suffit de scruter une carte pour réaliser que Limousin et Aquitaine ont déjà en commun le Parc naturel régional Périgord-Limousin. Créée il y a vingt ans maintenant, cette entité, comme ses 50 homologues en France, labellise un territoire essentiellement rural de 1 858 km2, composé de 78 communes (49 en Dordogne, 29 en Haute-Vienne) où sont menées des politiques de soutien aux traditions artisanales et culturelles, de protection des espaces naturels, de valorisation des projets collectifs durables… qui font justement la part belle aux initiatives citoyennes (associatives et professionnelles). S’appuyant sur un territoire à forte cohésion géographique, culturelle et sociale – que sont les marges rurales des aires urbaines de Périgueux et Limoges, le terroir du châtaignier, la terre des feuillardiers, une zone où l’occitan limousin marque encore les pratiques sociales –, le PNR sert déjà de laboratoire de coopération entre élus limousins et aquitains. La région Nouvelle-Aquitaine a récemment réaffirmé son soutien au Parc : 7 millions d’euros pour les trois prochaines années (voir Le Populaire du 16 janvier), au service de la langue régionale, des paysages ou des énergies renouvelables.
Dès lors, compte-tenu de cet engagement renouvelé, et du dynamisme du portage local, pourquoi ne pas étendre le périmètre du Parc au département voisin de la Charente, dont la partie orientale est sur la plupart des plans (paysager, économique, culturel) très semblable aux espaces déjà labellisés en Dordogne et en Haute-Vienne ? Même paysage de collines granitiques des marges du Massif central, même omniprésence de l’eau avec les lacs de Haute-Charente, mêmes traditions linguistiques ou architecturales, même population plutôt âgée (voir ci-dessous)… Et surtout, un même isolement relatif qui rend d’autant plus utile la mise en place d’un projet partagé.
Articulée sur 15 orientations et une cinquantaine de mesures concrètes, la Charte actuelle du PNR (il s’agit du document où sont consignés les engagements et les chantiers du Parc, ses marqueurs identitaires en somme), paraît tout à fait compatible avec les spécificités charentaises. Mieux, les engagements esquissés dans la Charte semblent pour leur grande majorité déjà poursuivre des objectifs qui pourraient assez naturellement s’appliquer aux réalités territoriales de la Charente limousine. On peut penser au soutien actif à la variété limousine de la langue occitane qui historiquement est pratiquée dans tout le PNR… et à l’ouest jusqu’aux portes d’Angoulême. Citons aussi une certaine continuité hydrologique autour du « château d’eau » que constitue ce pays forestier, dernière terre des loups de souche française. Rappelons d’ailleurs que le Bandiat et la Tardoire, parmi les rares cours d’eau à irriguer les trois départements (avec la Dronne), avaient donné leur nom au projet de Parc, dans les années 1990, avant que « Périgord-Limousin » ne s’impose.
Enfin, l’armature de sites touristiques et patrimoniaux variés et de qualité qui habille le secteur (thermes gallo-romains de Cassinomagus, réserve naturelle nationale de l’impact météoritique de Rochechouart-Chassenon, lacs de Haute-Charente, vestiges de Marthon et Montbron…) gagnerait à intégrer un programme de valorisation porteur de synergies tel que l’est le projet PNR. Le lac de Lavaud et la réserve géologique de Rochechouart-Chassenon possèdent déjà une emprise partagée entre Haute-Vienne, labellisée, et Charente, en attente. L’extension du label PNR me paraît donc être une évidence, qui ferait bénéficier ces communes rurales d’un élan collectif et d’une image de marque. Les bourgs de Charente limousine – Chabanais, Roumazières-Loubert, Chasseneuil –, un à un soigneusement épargnés par la RN 141 dédoublée, y gagnant en air pur ce qu’ils perdent en fréquentation commerciale, pourraient peut-être aussi trouver un regain d’intérêt touristique dans cette nouvelle aventure.
Le lac de Lavaud
Le bocage charentais
En 2007 déjà, le Conseil régional de Poitou-Charentes avait signalé son soutien à l’inclusion de dix-huit communes charentaises au périmètre du Parc (voir ci-dessous), bénéficiant d’un avis favorable des instances dirigeantes du PNR, du Conseil général, et des régions Aquitaine et Limousin, avant que l’éventualité ne soit curieusement abandonnée, pour des raisons que je ne connais pas.
Le prochain renouvellement de la charte du PNR est prévu en 2022, ce qui laisse quelques années aux responsables régionaux, et surtout aux forces vives du territoire (habitants, artisans et agriculteurs, élus locaux, acteurs du tourisme et de la culture…) pour mettre en œuvre un mouvement volontariste intégrant la Charente limousine au renouvellement de la charte. Le vote de la loi Biodiversité en 2016 pourrait même donner à la charte actuelle trois années supplémentaires de validité.
Il sera bon de rappeler qu’il est faux de penser qu’un PNR ne consiste qu’en une entité à visée uniquement touristique et ludique. Il s’agit bien d’un territoire de projets dans lequel élus, professionnels et habitants sont amenés à faire émerger des projets de développement appuyés sur les spécificités de leur territoire, où la création et le maintien d’emplois non-délocalisables occupent une place centrale. Il ne s’agit pas non plus d’un élément supplémentaire du fameux mille-feuilles institutionnel, avide de subsides et avare de retombées concrètes (n’en déplaise à Laurent Wauquiez qui a quant à lui sacrifié les projets de Parcs en Auvergne-Rhône-Alpes) ; les PNR sont depuis longtemps des espaces qui permettent justement aux enveloppes administratives de se décloisonner et aux décideurs de regarder vers l’extérieur et de s’inspirer des bonnes pratiques de leurs voisins. A ce titre, les Parcs situés dans les marges de leurs régions endossent une responsabilité toute spécifique. Le Parc du Marais Poitevin (entre Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine) ou le futur PNR de l’Aubrac (aux confins de l’Occitanie et d’Auvergne-Rhône-Alpes) sont de bons exemples prometteurs, qui entendent resserrer les liens et faire de ces périphéries des « cœurs ».
Entériner à l’échelle locale un projet commun de développement appuyé sur une cohérence géographique et culturelle, pour asseoir une entité régionale en quête de sens ; l’extension du PNR Périgord-Limousin à la Charente limousine semble donc toute trouvée. Valoriser le PNR comme cœur de la fusion, ce serait aussi rendre justice à des territoires ruraux qui sont en droit d’attendre beaucoup de cette nouvelle entité régionale surdimensionnée, et dont le XXIe siècle aurait tort de se passer.
Note : en écho à cette réflexion, j’ai choisi d’adresser dans les tous prochains jours un courrier faisant état de ma suggestion à plusieurs élus en charge de cette question :
- Nicolas Thierry, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine en charge de l’environnement et de la biodiversité ;
- Bernard Vauriac, maire de Saint-Jory-de-Chalais et président du PNR ;
- François Bonneau, président du Conseil départemental de la Charente ;
- Philippe Bouty, président de la Communauté de communes de Charente limousine.
Je ne manquerai pas de vous faire connaître les retours éventuels.
Crédits photo : L.D. pour les photographies et la carte des communes ; Géoportail pour les extraits IGN ; Région Nouvelle-Aquitaine pour la carte touristique ; Collectif Arri pour la carte linguistique ; INSEE-Geoclip pour la carte démographique.
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