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> Le PNR Périgord-Limousin : une « fabrique à cohésion » pour la Nouvelle-Aquitaine ?

31052018

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La réforme territoriale a beau être actée, la carte des régions validée, et les nouvelles politiques bien lancées, il va sans doute falloir du temps pour s’habituer à ce nouveau territoire, faire en sorte que les stratégies régionales s’harmonisent au mieux et bénéficient à tous de façon équitable et que la cohésion se fasse (le CESER planche sur le sujet). Pour l’instant, en dépit de statistiques que l’on dit plus ou moins mauvaises (voir à ce titre deux analyses dans La Montagne du 13 décembre 2017 et Le Populaire du 8 janvier), un certain nombre d’inquiétudes demeurent, et la crainte de voir le Limousin réduit au rang d’ « arrière-pays [plus ou moins] dynamique » n’est pas écartée. En témoignent la mobilisation citoyenne des derniers mois autour du départ éventuel de la cour d’appel de Limoges, puis le désarroi des élus locaux concernant l’absence de soutien de l’État pour une modernisation de la RN 147 entre Limoges et Poitiers, ou la suppression du rectorat tout récemment.

Aux gestes d’apaisement (comme l’attribution de deux vice-présidences stratégiques aux élus de Haute-Vienne dans l’exécutif régional), destinés à ménager les états-majors et les responsables économiques, ont succédé quelques engagements forts se voulant rassurants, sur la question des transports ferroviaires notamment. Mais d’autres réalités, qu’elles soient assez directement imputables à la réforme (la suppression de l’AVEC en Limousin l’an dernier ou les menaces sur certaines formations universitaires), ou qu’elles soient surtout révélatrices d’un développement territorial à deux vitesses entre les grandes métropoles et les zones rurales, imposent à chacun d’entre-nous d’être vigilants et déterminés. Car c’est aussi à la société civile de réagir ! Transports, développement économique harmonisé, politiques culturelles… les thématiques qui attendent notre mobilisation et nos initiatives ne manquent pas.

À ce sujet, un projet porteur me semble intéressant à valoriser dans l’optique d’une cohésion réelle des trois territoires ainsi fusionnés. Il suffit de scruter une carte pour réaliser que Limousin et Aquitaine ont déjà en commun le Parc naturel régional Périgord-Limousin. Créée il y a vingt ans maintenant, cette entité, comme ses 50 homologues en France, labellise un territoire essentiellement rural de 1 858 km2, composé de 78 communes (49 en Dordogne, 29 en Haute-Vienne) où sont menées des politiques de soutien aux traditions artisanales et culturelles, de protection des espaces naturels, de valorisation des projets collectifs durables… qui font justement la part belle aux initiatives citoyennes (associatives et professionnelles). S’appuyant sur un territoire à forte cohésion géographique, culturelle et sociale – que sont les marges rurales des aires urbaines de Périgueux et Limoges, le terroir du châtaignier, la terre des feuillardiers, une zone où l’occitan limousin marque encore les pratiques sociales –, le PNR sert déjà de laboratoire de coopération entre élus limousins et aquitains. La région Nouvelle-Aquitaine a récemment réaffirmé son soutien au Parc : 7 millions d’euros pour les trois prochaines années (voir Le Populaire du 16 janvier), au service de la langue régionale, des paysages ou des énergies renouvelables.

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Dès lors, compte-tenu de cet engagement renouvelé, et du dynamisme du portage local, pourquoi ne pas étendre le périmètre du Parc au département voisin de la Charente, dont la partie orientale est sur la plupart des plans (paysager, économique, culturel) très semblable aux espaces déjà labellisés en Dordogne et en Haute-Vienne ? Même paysage de collines granitiques des marges du Massif central, même omniprésence de l’eau avec les lacs de Haute-Charente, mêmes traditions linguistiques ou architecturales, même population plutôt âgée (voir ci-dessous)… Et surtout, un même isolement relatif qui rend d’autant plus utile la mise en place d’un projet partagé.

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plus de 65 ans 2014 PNR PL

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Articulée sur 15 orientations et une cinquantaine de mesures concrètes, la Charte actuelle du PNR (il s’agit du document où sont consignés les engagements et les chantiers du Parc, ses marqueurs identitaires en somme), paraît tout à fait compatible avec les spécificités charentaises. Mieux, les engagements esquissés dans la Charte semblent pour leur grande majorité déjà poursuivre des objectifs qui pourraient assez naturellement s’appliquer aux réalités territoriales de la Charente limousine. On peut penser au soutien actif à la variété limousine de la langue occitane qui historiquement est pratiquée dans tout le PNR… et à l’ouest jusqu’aux portes d’Angoulême. Citons aussi une certaine continuité hydrologique autour du « château d’eau » que constitue ce pays forestier, dernière terre des loups de souche française. Rappelons d’ailleurs que le Bandiat et la Tardoire, parmi les rares cours d’eau à irriguer les trois départements (avec la Dronne), avaient donné leur nom au projet de Parc, dans les années 1990, avant que « Périgord-Limousin » ne s’impose.

Enfin, l’armature de sites touristiques et patrimoniaux variés et de qualité qui habille le secteur (thermes gallo-romains de Cassinomagus, réserve naturelle nationale de l’impact météoritique de Rochechouart-Chassenon, lacs de Haute-Charente, vestiges de Marthon et Montbron…) gagnerait à intégrer un programme de valorisation porteur de synergies tel que l’est le projet PNR. Le lac de Lavaud et la réserve géologique de Rochechouart-Chassenon possèdent déjà une emprise partagée entre Haute-Vienne, labellisée, et Charente, en attente. L’extension du label PNR me paraît donc être une évidence, qui ferait bénéficier ces communes rurales d’un élan collectif et d’une image de marque. Les bourgs de Charente limousine – Chabanais, Roumazières-Loubert, Chasseneuil –, un à un soigneusement épargnés par la RN 141 dédoublée, y gagnant en air pur ce qu’ils perdent en fréquentation commerciale, pourraient peut-être aussi trouver un regain d’intérêt touristique dans cette nouvelle aventure.

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Le lac de Lavaud

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Le bocage charentais

En 2007 déjà, le Conseil régional de Poitou-Charentes avait signalé son soutien à l’inclusion de dix-huit communes charentaises au périmètre du Parc (voir ci-dessous), bénéficiant d’un avis favorable des instances dirigeantes du PNR, du Conseil général, et des régions Aquitaine et Limousin, avant que l’éventualité ne soit curieusement abandonnée, pour des raisons que je ne connais pas.

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Le prochain renouvellement de la charte du PNR est prévu en 2022, ce qui laisse quelques années aux responsables régionaux, et surtout aux forces vives du territoire (habitants, artisans et agriculteurs, élus locaux, acteurs du tourisme et de la culture…) pour mettre en œuvre un mouvement volontariste intégrant la Charente limousine au renouvellement de la charte. Le vote de la loi Biodiversité en 2016 pourrait même donner à la charte actuelle trois années supplémentaires de validité.

Il sera bon de rappeler qu’il est faux de penser qu’un PNR ne consiste qu’en une entité à visée uniquement touristique et ludique. Il s’agit bien d’un territoire de projets dans lequel élus, professionnels et habitants sont amenés à faire émerger des projets de développement appuyés sur les spécificités de leur territoire, où la création et le maintien d’emplois non-délocalisables occupent une place centrale. Il ne s’agit pas non plus d’un élément supplémentaire du fameux mille-feuilles institutionnel, avide de subsides et avare de retombées concrètes (n’en déplaise à Laurent Wauquiez qui a quant à lui sacrifié les projets de Parcs en Auvergne-Rhône-Alpes) ; les PNR sont depuis longtemps des espaces qui permettent justement aux enveloppes administratives de se décloisonner et aux décideurs de regarder vers l’extérieur et de s’inspirer des bonnes pratiques de leurs voisins. A ce titre, les Parcs situés dans les marges de leurs régions endossent une responsabilité toute spécifique. Le Parc du Marais Poitevin (entre Pays de la Loire et Nouvelle-Aquitaine) ou le futur PNR de l’Aubrac (aux confins de l’Occitanie et d’Auvergne-Rhône-Alpes) sont de bons exemples prometteurs, qui entendent resserrer les liens et faire de ces périphéries des « cœurs ».

Entériner à l’échelle locale un projet commun de développement appuyé sur une cohérence géographique et culturelle, pour asseoir une entité régionale en quête de sens ; l’extension du PNR Périgord-Limousin à la Charente limousine semble donc toute trouvée. Valoriser le PNR comme cœur de la fusion, ce serait aussi rendre justice à des territoires ruraux qui sont en droit d’attendre beaucoup de cette nouvelle entité régionale surdimensionnée, et dont le XXIe siècle aurait tort de se passer.

Note : en écho à cette réflexion, j’ai choisi d’adresser dans les tous prochains jours un courrier faisant état de ma suggestion à plusieurs élus en charge de cette question :
- Nicolas Thierry, vice-président de la Région Nouvelle-Aquitaine en charge de l’environnement et de la biodiversité ;
- Bernard Vauriac, maire de Saint-Jory-de-Chalais et président du PNR ;
- François Bonneau, président du Conseil départemental de la Charente ;
- Philippe Bouty, président de la Communauté de communes de Charente limousine.

Je ne manquerai pas de vous faire connaître les retours éventuels.

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Crédits photo : L.D. pour les photographies et la carte des communes ; Géoportail pour les extraits IGN ; Région Nouvelle-Aquitaine pour la carte touristique ; Collectif Arri pour la carte linguistique ; INSEE-Geoclip pour la carte démographique.

 




[PATRIMOINE] – Illustres et inconnus : valoriser les maisons des personnalités

27022018

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Les maisons natales et autres lieux de résidences de personnalités historiques constituent une niche touristique porteuse. A Limoges, peu d’entre-elles paraissent valorisables, mais un effort d’imagination et de médiation peut contribuer à faire de ces bâtiments de bons vecteurs d’intérêt pour plusieurs pans du patrimoine local.

J’ai décidé de consacrer le premier épisode de cette série aux maisons et immeubles dont la notoriété ou la valeur tiennent au séjour plus ou moins long qu’y ont effectué des personnalités plus ou moins connues.

Évoqué par Stéphane Bern lui-même, missionné par Emmanuel Macron en personne pour réfléchir à la sauvegarde du patrimoine français, et friand notoire de l’Histoire dans sa dimension biographique, ce corpus patrimonial est porteur de promesses de rayonnement. Pour peu qu’elle demeure rationnelle, du moins raisonnable, la fascination assez répandue du grand public pour le destin des personnalités, même fantasmé (le succès de programmes télévisés comme Secrets d’histoire ou Un jour un destin en est une bonne expression à mon sens), justifie quoi qu’on en pense l’intérêt des décideurs pour ce filon touristique potentiel… A condition que la valorisation de ces lieux donne aussi à comprendre un peu de l’histoire collective (comprenez : celle des petites gens, de ceux « qui ne sont rien »), et qu’elle contribue à renforcer la visibilité des autres patrimoines.

Les autorités touristiques françaises ont saisi le potentiel de ces endroits en développant des circuits touristiques qui mettent en lien et en lumière la biographie des personnalités historiques par leurs ancrages géographiques, mais qui s’attachent aussi à faire de ces lieux des vitrines plus larges sur les richesses et les spécificités locales.

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Le label « Maison des illustres », lancé par le Ministère de la Culture en 2011, regroupe actuellement plus de 200 établissements dans tout le pays. Au-delà des lieux, souvent remarquables, et des figures historiques, ce programme entend mettre en évidence les collections abritées par les bâtisses.

j demy nantesDe nombreuses collectivités ont par ailleurs développé des circuits qui articulent les différents lieux arpentés par l’enfant (célèbre) du pays ; c’est le cas entre autres de la ville de Nantes, qui dans le cadre de son label Ville d’art et d’histoire, dont Limoges dispose aussi, à créé des parcours consacrés à la vie et à la démarche créative de deux grands noms de la cité, Jacques Demy et Jules Verne.

À l’échelle internationale, le développement du programme « City of Literature » (lancé en 2004 et porté par l’UNESCO au sein du plus vaste projet Réseau des villes créatives, auquel Limoges appartient au nom de l’artisanat depuis 2017) permet d’associer au sein d’une même initiative les lieux des créateurs historiques à la création contemporaine dans une dynamique vertueuse et pourvoyeuse de retombées économiques et sociales qui ne soient pas uniquement touristiques. 28 villes sont actuellement labellisées, aucune en France. Le programme entend valoriser bibliothèques et librairies, patrimoine matériel et immatériel lié à la culture de l’écrit… L’intégration de tous ces lieux à l’offre touristique et culturelle globale entend donc participer de l’attractivité du territoire.

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La valorisation touristique et culturelle de cet ensemble de sites n’est pourtant pas évidente, et ce, pour plusieurs raisons.

La première est sans doute qu’au-delà d’un contingent de personnalités médiatiques, voire télégéniques, ces sites peineront à générer une attractivité touristique conséquente. Quelques grands auteurs, de grandes figures de notre histoire politique ou militaire contemporaine, des souverains et des scientifiques réputés concentrent l’essentiel de l’intérêt du public pour ces lieux.

Ensuite, ces lieux en tant que tels ne font l’objet d’une considération culturelle, donc d’une convoitise économique, que de manière très partielle, et pour diverses raisons (leur valeur esthétique limitée, le fait qu’il s’agisse de propriétés privées et habitées, sans parler des édifices disparus, voire non-identifiés dans la biographie de leur illustre ancien occupant). Et encore faut-il qu’ils aient quelque chose à montrer !

Enfin, ces lieux posent des questions plus morales, les mêmes qui sont posées par l’attribution d’un nom d’homme ou femme célèbre à une rue : l’individu en question est-il soupçonnable d’actes ou d’opinions répréhensibles ? En outre, le pèlerinage auxquels vont s’adonner les touristes les plus fervents peut générer, outre des problèmes de sur-fréquentation, des écarts de comportement, par exemple des tentatives d’intrusion, dont les autorités locales aiment toujours se passer. Cette fascination est-elle toujours acceptable ? Certes, ce risque me semble ne concerner que quelques rares figures à la popularité sans commune mesure avec celles dont Limoges peut se revendiquer.

Justement, qu’en est-il donc précisément à Limoges ?

La ressource apparaît plus difficilement exploitable. Non pas qu’il n’existe pas de personnalités dignes d’intérêt, ni même de personnalités suffisamment connues pour générer une attention au-delà de la préfecture haut-viennoise (on compte au moins Renoir, un des peintres les plus connus au monde) ; mais sans doute les bâtiments en question ne sont-ils pas parmi les plus éloquents. Ce filon là n’a jamais été véritablement creusé par les responsables locaux. La ville n’accueille donc aucune « Maison des Illustres », qui sont par ailleurs au nombre de 5 en Limousin (Edmond Michelet à Brive, Jean Giraudoux à Bellac, Henri Queille à Neuvic, Martin Nadaud à Soubrebost et Louis-Joseph Gay-Lussac à Saint-Léonard). Plus largement, les habitations sont souvent inaccessibles, le patrimoine peu tangible et valorisable. De nombreuses personnalités sont d’ailleurs rapidement parties de la ville sans y laisser de traces ; Renoir, pour en revenir à lui, n’a que très peu vécu à Limoges, et sa famille n’y est pas resté. Les quelques œuvres dont il est l’auteur et dont la ville dispose sont aujourd’hui au musée des Beaux-Arts – et aucune ne représente de scène explicitement limougeaude.

Qu’à cela ne tienne, il existe tout de même plusieurs bâtiments répondant à ce statut de « maison natale » à Limoges, qu’il est possible de voir de l’extérieur, à défaut d’une visite. Le blog maisons.natales.over-blog.com en recense neuf. Le Populaire avait aussi enquêté sur le sujet en 2011. Nous proposons quant à nous une liste de douze noms. Probablement en existe-t-il bien d’autres (il suffit de consulter la liste des personnalités nées à Limoges pour s’en douter). La carte ci-dessous en indique une sélection. Sont aussi mentionnées des maisons où les personnalités ont seulement vécu.

Exception faite de la maison du Maréchal Jourdan, dont le rez-de-chaussée est accessible durant l’été, aucune de ces maisons n’est ouverte à la visite. Cela n’en interdit pas pour autant l’approche, une vision extérieure. Parmi les noms, peu de personnalités véritablement « grand public » ; mais les noms secondaires permettent de lire la ville, son histoire, l’évolution de ses fonctions et de sa culture au fil des siècles. Connaître les lieux de naissance ou de vie des illustres Limougeauds, donne (un peu) à comprendre le destin des Limougeauds moins connus. Cela permet aussi de découvrir quelques histoires méconnues.

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Nicolas de la Reynie (1625-1709)
13 rue du Consulat

Premier lieutenant-général de police de Paris, il y développa l’éclairage public, lutta contre les cours des miracles et fit preuve de fermeté dans la gestion de l’Affaire des poisons. Il fut le propriétaire du château de Traslage, à Vicq-sur-Breuilh. Sa maison natale n’existe plus ; son emplacement est celui du magasin Sephora.

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Henri François D’Aguesseau (1668-1751)
15-17 rue du Consulat

Ce personnage historique, contemporain de Louis XV, exerça comme magistrat et occupa notamment le poste capital et très prestigieux de Chancelier de France entre 1717 et 1722 puis de 1727 à 1750, lui donnant la primauté sur tous les projets de loi, et où il s’illustra comme pionnier de la codification du droit. Il fut aussi président de l’Académie des sciences. Son nom et son œuvre sont aujourd’hui méconnues du grand public, mais sa présence parmi les figures représentées dans les médaillons de mosaïque de la façade de l’hôtel de ville de Limoges souligne combien sa ville natale a pu s’enorgueillir de le compter parmi ses enfants.

La restauration du bâtiment, préalable à l’installation de l’enseigne Zara en 2012, a suscité la controverse (voir à la fin de cet article).

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Jean-Baptiste Jourdan (1762-1833)
37 rue du Pont Saint-Etienne

IMG_2439La maison natale du maréchal Jourdan, ouverte au public depuis de nombreuses années par le biais d’un accord conclu entre une association de maquettistes et la Ville de Limoges, est la seule des maisons natales limougeaudes qui soit accessible au public et présentée comme telle aux visiteurs. Pour autant, aucune reconstitution à l’intérieur ne prétend renvoyer à la vie du XVIIIe siècle ni ne renferme aucun objet ayant pu appartenir à son illustre occupant. Le rez-de-chaussée du bâtiment, qui aurait besoin d’une bonne rénovation, est ouvert en période estivale puisqu’il accueille une exposition permanente de figurines et une reconstitution – un peu désuète il faut le dire – de la bataille de Fleurus (1794), fait d’armes magistral et décisif de Jourdan qui sauva la Révolution française. Républicain engagé en politique, Jourdan est également l’instigateur du service militaire obligatoire. Il ne fut jamais en odeur de sainteté avec Napoléon, ce qui n’empêcha pas ce dernier de le faire maréchal d’Empire dès 1804. Jourdan termina sa carrière comme gouverneur des Invalides.

Cette maison gagnerait à être rénovée.

 

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Thomas Robert Bugeaud (1784-1849)
Angle de la rue du Consulat et de la rue Cruche d’Or

IMG_0620Soldat napoléonien d’origine périgourdine, député sous la Restauration, Bugeaud joue ensuite un rôle central dans la colonisation de l’Algérie dans les années 1840. Un temps pressenti pour se porter candidat à la présidence de la République en 1848, il est à sa mort inhumé aux Invalides.

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Michel Chevalier (1806-1879)
20 place d’Aine

Parlementaire du Second Empire, Chevalier est connu comme économiste libéral ; il détint la chaire d’économie au Collège de France en 1841, présida le jury de l’Exposition universelle de 1867 et milita pour la construction d’un tunnel sous la Manche.

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Emile Montégut (1825-1895)
18-20 rue Elie Berthet

montegutEssayiste et journaliste, fidèle critique littéraire à la Revue des Deux Mondes, Montégut fut candidat malheureux à l’Académie française un an avant sa mort. Il est aujourd’hui pour le moins oublié, à l’image du délabrement relatif du médaillon qui l’honore sur la façade de sa maison natale.

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Marie François Sadi Carnot (1837-1894)
14bis boulevard Carnot

Président de la République de 1887 à 1894, Sadi Carnot est peut-être plus largement connu pour son assassinat, fait d’un anarchiste italien, qui lui valut sans nul doute l’inhumation au Panthéon, fait unique à ce jour pour un Chef d’État. Durant sa présidence, Carnot est revenu trois fois en visite officielle à Limoges (je l’évoquais ici en 2012). C’est lors de la première d’entre elles, quelques mois après son élection, en 1888, que fut inaugurée la plaque sur la façade de la maison. Elle omet toutefois de mentionner que l’acte de naissance de Sadi Carnot le fait naître rue Neuve Sainte-Valérie, actuelle rue du Général Cérez, à quelques mètres du boulevard Carnot…

Le boulevard où se situe la maison détient la particularité d’honorer deux personnes différentes selon l’extrémité duquel à laquelle on se trouve (j’en avais déjà parlé en 2008) : le Président, et son grand-oncle Lazare, révolutionnaire et physicien, par ailleurs honoré d’une place dans le quartier des Emailleurs.

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Jules Clarétie (1840-1913)
rue Jules Noriac

Aujourd’hui oublié, quoiqu’une rue de Limoges lui rendre encore hommage, Clarétie fut populaire en son temps ; pilier mondain des Limousin de Paris, auteur de très nombreux ouvrages (romans, nouvelles, pièces de théâtre), dont il place souvent l’intrigue en Limousin, il dirigea également la Comédie française et fut élu à l’Académie en 1888. Il est difficile de déterminer si sa maison natale, étudiée en 1935 par Henri Hugon, érudit local et beau-père de Robert Margerit, est encore visible aujourd’hui.

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Pierre Auguste Renoir (1841-1919)
71 boulevard Gambetta, alors boulevard Sainte-Catherine

Le célèbre peintre mondialement connu n’a passé que les trois premières années de sa vie à Limoges, où ses parents exercent respectivement comme tailleur et couturière.

L’immeuble résidentiel – pas le plus élégant du boulevard – accueille désormais notamment des bureaux d’avocats.

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Maryse Bastié (1898-1952)
20 rue Maryse Bastié (ancienne rue de Beaumont)

Maryse Bastié commença comme piqueuse sur cuir dans une usine à chaussures. Louis Bastié, son époux, l’initie à l’aviation, dont elle va devenir une figure emblématique. Encouragée par Mermoz, elle se lance et bat un premier record de traversée de l’Atlantique sud en 1936, mais meurt lors d’un meeting aérien à Bron, près de Lyon. Dès 1953, le conseil municipal de Limoges décide de donner son nom à la rue où se situe sa maison natale. Celle-ci n’existe plus mais une petite plaque en marbre l’évoque, détonant un peu sur le portail d’un pavillon contemporain…

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Georges-Emmanuel Clancier (né en 1914)
7 rue Bernard Palissy

Cette figure de la littérature et de la poésie françaises contemporaines, connu pour sa fresque limougeaude Le Pain noir, et reconnu par l’Académie française qui lui a décerné son Grand prix de Littérature en 1971, est né dans une bâtisse de la rue Bernard Palissy, dans le quartier Montmailler, qu’il évoque dans L’Enfant double, en 1998, comme rappelé sur le site GéoCulture : « Notre rue n’était pas tellement passante, sauf aux jours de foire, car elle reliait précisément le champ de foire à l’une des deux gares de la ville : la gare Montjovis. De sorte que ces jours-là, dès avant l’aube et jusqu’à la nuit tombée, il régnait dans la rue une étrange affluence (…) ». Aujourd’hui plus que centenaire, Georges-Emmanuel Clancier réside à Paris.

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Citons plus rapidement Léon Faucher, ministre de l’Intérieur de Louis-Napoléon Bonaparte, né place des Bancs, le médecin Jean Cruveilhier, qui vit le jour dans l’ancien quartier du Verdurier, ou encore le général d’Empire Martial Beyrand, natif du boulevard Gambetta. D’autres « célébrités » limougeaudes, comme le révolutionnaire Victurnien Vergniaud, l’ingénieur ferroviaire Paulin Talabot ou le sculpteur Henri Coutheillas, attendent peut-être encore les recherches qui révèleront au grand public le lieu de leur venue au monde…

 

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Les mœurs changent, et désormais bien rares sont les naissances à domicile. Le concept de « maison natale » a vécu. Il sera toutefois toujours possible de valoriser les lieux de vie. D’autres recherches nous permettent d’identifier quelques maisons qui l’espace d’une nuit ou pour toute une vie, ont accueilli des noms plus ou moins connu du monde des arts ou de la politique… Tel est le cas de l’écrivain japonais Shimazaki Toson, encore aujourd’hui très célèbre dans son pays qu’il avait fui pour un scandale de mœurs, en 1914. Exilé en France, il fut hébergé quelques semaines au 107 rue de Babylone dans une maison arborant une plaque commémorative qui mériterait un peu de pédagogie et de nettoyage (voir photos ci-dessus). De ses écrits de l’époque nous restent une description de la ville et de ses habitants, consignés dans L’Étranger, alors que la Grande guerre vient d’éclater (à consulter sur GéoCulture).

« Sur la rive opposée, sur le terrain en pente, on entrevoyait, à travers les arbres, des maisons rustiques alignées, ainsi que des jardins cultivés. [...] De la fenêtre, j’apercevais le chemin de Babylone à travers des treilles que recouvraient des sarments. Sur la colline, la prairie s’étendait jusqu’au bord de la rue et il arrivait que se reflètent, dans les vitres de la fenêtre derrière laquelle j’écrivais, les têtes des vaches qui s’avançaient jusqu’au bout du rocher rouge. »

Citons aussi le créateur Jean-Charles de Castelbajac, longtemps installé dans un atelier du quartier de la Cité, devenu restaurant (« Chez Nous »), ou l’artiste dadaïste autrichien Raoul Hausmann, qui vécut au 80 rue Aristide Briand avant de finir sa vie dans un appartement de la rue Neuve Saint-Etienne, devant lequel une inscription déjà très dégradée a été installée il y a quelques années par la Ville de Limoges… Une réfection au profit d’un matériau plus adapté s’imposerait. Heureusement qu’un panneau plutôt réussi complète l’installation.

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Que faire ?

La mise en place d’un circuit touristique thématique pourrait être étudiée. Le scénario de ce parcours pourrait suivre une évocation parallèle de ce que ces lieux et de leurs occupants soulèvent en termes de styles architecturaux, de mouvements artistiques et politiques, d’événements locaux à portée nationale… Par exemple, la maison natale du maréchal Jourdan, typique de l’architecture à pans de bois du quartier de la Cité. Ou le cas de la maison natale d’Aguesseau, emblématique du recours controversé au façadisme des rénovations du début du XXIe siècle (l’intérieur originel n’a pas été conservé quand l’enseigne Zara s’est installée, causant notamment la disparition de boiseries dont la préservation avait pourtant été promise).

Une animation par le biais d’une programmation occasionnelle du service Ville d’art et d’histoire et de l’Office du tourisme, suivant le modèle de la balade « sur les traces de Balzac » organisée lors de Lire à Limoges au printemps 2017, pourrait s’envisager et compléter de façon plus attractive l’interprétation de ce patrimoine. Les noms les plus connus pourraient être retenus en priorité. Le principe des balades théâtrales conçues par le service Ville d’art et d’histoire autour de certaines de ces « célébrités » (Aliénor, Raoul et leur suite…) pourrait être reconduit et étendu.

Les personnalités, célèbres ou non, sont toutes à l’œuvre dans la construction du patrimoine commun ; les considérer et en valoriser l’histoire, ce que celle-ci porte de résonances collectives, c’est aussi participer de la cohésion de la société.

Prochain épisode : Ils sont Monuments historiques… et on ne le savait pas !

Crédits photo : Ministère de la Culture ; Ville de Nantes ; Edinburgh City of Literature ; Google Street View ; L. Destrem (carte, photos de la maison de T. Shimazaki, de R. Hausmann, de Bugeaud  et de Jourdan).




> Une nouvelle série thématique à suivre…

29012018

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Me voici de retour pour lancer une petite série thématique, que j’envisageais initialement estivale. Comme je vous avoue trouver de moins en moins de temps à consacrer à ce blog, ce nouveau feuilleton ne sera pas borné dans le temps, et constituera un work in progress à l’issue indéfinie… Cela devrait me permettre de matérialiser mon attachement perpétuel à l’égard du Limousin, et de concilier sans trop de contraintes les différents (et futurs) engagements qui aujourd’hui et demain, occupent et occuperont mes journées…

Par cette invitation à la déambulation, par ce carnet de voyage de proximité, je vais chercher à vous proposer, chers lecteurs, amoureux de Limoges et de cette « terre du milieu » confirmés ou en devenir, mais aussi à vous qui considérez que cette ville n’a que peu de choses à montrer, de regarder différemment le paysage et l’histoire de l’ex-capitale limousine. L’idée est aussi d’en saisir, par cette découverte d’un patrimoine méconnu, les forces cachées et potentiels de développement, à même de garantir une qualité de vie, une curiosité partagée, un dynamisme économique et culturel appréciables. Peut-être décèlerez-vous donc de surcroît dans mon propos – mais ce n’est pas nouveau – une forme d’interpellation des décideurs locaux, une invitation à ce qu’ils prennent en considération ces richesses, ces spécificités*. À l’heure où se joue le sort de lieux cruciaux comme la place de la République ou les bords de Vienne, qui s’apprêtent à changer, renouveler leur visage, et alors que la ville doit trouver sa place dans une région sans doute un peu trop grande pour elle, toutes les occasions me paraissent bonnes pour rappeler combien Limoges et ses alentours détiennent un patrimoine riche et à exploiter, et que chacun doit pouvoir en profiter…

Premier épisode à suivre très prochainement, consacré aux maisons de personnalités historiques, à leur valeur patrimoniale et à leur potentiel touristique.

*A ce titre, cette série prolonge les réflexions et les valeurs que j’ai souhaité défendre avec mes camarades de l’association 55 citoyens pour Limoges dans un dossier thématique consacré au patrimoine urbain de la ville de Limoges, présenté en 2014 à la municipalité, resté lettre morte. Les propositions que je ferai sur mon blog s’inspireront de l’esprit de ce dossier, mais bien entendu je n’engage nullement sans leur assentiment les autres adhérents de l’association, association dont les positions sont régulièrement présentées sur le blog http://55pourlimoges.unblog.fr.




> LGV : tout reste à faire après le rapport Delebarre

31072017

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S’il consacre enfin l’abandon du tout-LGV, et s’il est porteur d’idées intéressantes (électrification de Poitiers-Limoges, reprise du TGV Brive-Lille…), le rapport de Michel Delebarre sur l’accessibilité du Limousin demeure quasiment silencieux sur les liaisons transversales. En outre, par son refus de défendre une option forte pour améliorer la liaison entre Paris et Limoges, il entretient l’idée que le POLT, concurrencé par la toute nouvelle LGV Tours-Bordeaux, pourrait se satisfaire d’une amélioration a minima. Il faudra une prise de position forte de la part des élus pour éviter un atermoiement préjudiciable.

réduction temps parcours ferroviaire 1978 2013

Gains de transport entre Paris et la province entre 1978 et 2013. Limoges, grande oubliée des innovations nationales… (c) UMR ESO, pour RFF.

Michel Delebarre, sénateur PS du Nord, a enfin remis le rapport (« Accessibilité du Limousin et des territoires limitrophes », consultable en ligne) que Manuel Valls, alors Premier ministre, lui avait commandé en décembre 2016 pour réfléchir aux solutions pour désenclaver le Limousin. Cette commande, partant du constat du déclin des dessertes en Limousin, ces trois dernières décennies, et consécutive à l’annulation par le Conseil d’Etat de la Déclaration d’utilité publique le 15 avril 2016, laissait déjà présager l’abandon définitif du projet de LGV Poitiers-Limoges. Aujourd’hui, les conclusions du rapport vont ouvertement dans le sens de cet abandon, comme le laissait déjà entendre Emmanuel Macron. On peut légitimement s’en satisfaire, tant ce projet, dans sa forme autant que dans son essence, a pollué la capacité des acteurs locaux à ébaucher de façon critique et constructive un projet alternatif et porteur pour le Limousin.

Mais maintenant que se dessine a priori la fin du feuilleton LGV, par quoi compenser le retrait d’un projet qui a monopolisé les discours et hélas les finances publiques depuis dix ans ? Comment assurer la desserte d’un territoire en marge, fragilisé par la création d’une nouvelle région immense et hélas peu solidaire ? Zoom sur les propositions alternatives avancées par ce document.

L’abandon des projets LGV, enfin acté

Le rapport de M. Delebarre comporte plusieurs bonne nouvelles qu’il s’agira de concrétiser. La première d’entre-elles réside donc en la préconisation explicite d’un abandon définitif du projet de ligne nouvelle à grande vitesse entre Poitiers et Limoges (p. 33). Critiqué ces dernières années par plusieurs instances politiques et économiques, des experts et de nombreux citoyens (Commission Mobilité 21, FNAUT, Cour des Comptes, élus de l’Indre, de la Vienne ou de la Creuse…), ce projet est battu en brèche tant pour son incohérence budgétaire que pour les nombreux territoires qu’il laisserait à l’abandon. M. Delebarre (p. 35) met aussi en évidence à raison que l’hypothèse d’un rattachement de la ligne classique à une future LGV Paris-Orléans-Clermont-Lyon (dite POCL) est plus qu’hypothétique, pour les mêmes raisons financières. Enfin, il signale aussi que les relations finalement mises en place avec l’ouverture de la LGV Tours-Bordeaux en juillet 2017 entre Paris et Poitiers, ne laisseraient finalement que peu de place à des raccordements performants pour les hypothétiques rames TGV qui bifurqueraient à Poitiers vers Limoges (seulement 4 trains par jour apporteraient des améliorations notoires de temps de parcours dans les conditions actuelles !). Raison de plus pour « laisser tomber » l’option LGV, donc.

Paris-Limoges en 2h40 : entre Poitiers et Orléans, ne faut-il pas choisir ?

A ces hypothèses « LGV », M. Delebarre préfère donc une amélioration des liaisons existantes, sur POLT comme sur Poitiers-Limoges.

[…] pour les choix à opérer rapidement pour l’avenir, je recommande d’envisager des aménagements et des améliorations de desserte à la fois sur la ligne existante Limoges-Poitiers et sur la ligne historique POLT.

En somme, pour la première fois dans un propos se voulant « post-LGV », ce n’est plus POLT qui concentre les attentions, puisque la liaison classique existante Poitiers-Limoges est présentée en alternative. Cette proposition inédite de faire de la liaison TER une nouvelle opportunité de desserte entre Paris et Limoges me semble hélas porteuse d’incertitudes.

Concrètement, l’idée ici développée par le sénateur Delebarre est de parvenir à des gains de temps de parcours conséquents entre Paris et Limoges non plus exclusivement via la ligne historique POLT, mais via la ligne classique entre Poitiers et Limoges, moyennant des travaux sur cette dernière. Il s’agit en fait de faire profiter Limoges de l’ouverture de la LGV Tours-Poitiers-Bordeaux, qui a mis la préfecture poitevine à moins de 2h de Paris. On se dit que ce serait un juste retour des choses, tant les collectivités limousines ont dépensé pour cette LGV (leur participation au financement de la LGV Sud-Europe-Atlantique s’expliquait par le fait que c’est sur cette ligne que devait se connecter la LGV Poitiers-Limoges). Une fois les travaux réalisés sur la ligne classique, les gains escomptés en termes de temps de parcours seraient donc suffisamment importants pour inciter une partie des voyageurs empruntant POLT pour rallier Paris à préférer le passage par Poitiers… mais il s’agirait en parallèle de veiller à ce qu’ils demeurent modérés pour ne pas complètement assécher POLT, et donc parvenir à ce que les deux options soient gagnantes.

En somme : d’un côté, des rames TGV circuleraient à vitesse normale sur une voie modernisée jusqu’à Poitiers, puis continueraient à grande vitesse pour Paris, pour un trajet de 2h30. Sur cette même ligne pourraient aussi circuler des TER en complément, de manière à renforcer les liens entre les deux capitales régionales déchues. De l’autre, une ligne POLT rénovée (suppression de passages à niveaux, correction de tracés, nouveau matériel…) permettrait une desserte efficace en Intercités entre Limoges et Paris, aux alentours de 2h30 également. Une répartition « naturelle » des trafics serait donc attendue, sans doute en fonction des préférences budgétaires de chacun.

[…] si le temps de parcours entre Limoges et Paris [par la ligne classique Limoges-Poitiers, ndla] peut passer en dessous du temps de POLT, le gain de temps sera moindre qu’avec la LGV Poitiers-Limoges, et donc la répartition des usagers entre POLT et les liaisons Paris-Poitiers-Limoges via la LGV SEA sera plus équilibrée en fonction du surcoût de l’utilisation du TGV par rapport au train classique.

[…]

Une desserte « légère » via un petit nombre de TGV complété par des TER directs jusqu’à Poitiers permettrait aux voyageurs les plus pressés de rejoindre ou quitter Limoges en empruntant la ligne à grande vitesse Paris-Bordeaux. Sans « concentrer » tous les voyages sur cette liaison, la place resterait pour l’utilisation du POLT avec une desserte optimisée. La ligne POLT, qui assure une desserte plus fine du territoire, avec Uzerche, Cahors, mais aussi La Souterraine et Vierzon, resterait privilégiée par les usagers qui y trouveraient des tarifs plus attractifs et un gain de confort important, leur permettant de vivre le temps passé dans le train comme du temps qui n’est pas perdu. Le Limousin trouvera aussi, avec cette politique équilibrée, un double accès dans Paris, via la gare d’Austerlitz ou la gare Montparnasse.

C’est ici que l’idée a priori séduisante me semble moins convaincante. Comment garantir un équilibre entre les deux options ? M. Delebarre estime les deux options complémentaires : la première (par Poitiers) servant à renforcer la cohésion régionale, l’autre à renforcer les liens avec Paris sans délaisser le centre de la France. Cela s’entend, mais n’est-ce pas utopique ? Surtout, l’idée de faire circuler des TGV sur ligne classique entre Poitiers et Limoges, option certes plus économe que la construction d’une LGV, pose de sérieuses questions quant au financement d’une pratique que l’on sait très coûteuse. C’est d’ailleurs ce qui a amené la Région Nouvelle-Aquitaine à abandonner le financement du TGV Brive-Lille, que M. Delebarre propose pourtant de remettre lui aussi en service (à juste titre à mon avis).

Electrifier la ligne entre Poitiers et Limoges pour la rendre plus attractive et ainsi offrir une alternative à la mise en quatre voies de la RN 147, est une hypothèse très intéressante, car ces deux villes ont des choses à se dire et gagneraient à se regarder autrement qu’en concurrentes. Mais encore faudrait-il ne pas être trop gourmand en menant de front deux chantiers permettant l’un comme l’autre à Limoges d’être à moins de 2h40 de Paris. Nos capacités de financement sont-elles à cette hauteur ? Le potentiel de trafic entre Poitiers et Limoges cumulé à celui des territoires de l’Indre et du Cher, est-il à même d’assurer le succès parallèle des deux options ? Comment garantir que l’un des projets ne se fasse pas au détriment de l’autre ? Qu’un service très ambitieux sur l’une des lignes ne soit pas handicapé par la mise en place d’une desserte concurrente sur l’autre ? Que les passagers les plus pauvres soient contraints à un omnibus de seconde zone ? Pourquoi cette impression, partagée d’ailleurs par Frédéric Soulier, maire LR de Brive (Le Populaire du 28 juillet), de n’avoir pas su prendre de manière plus résolue le part de l’une ou de l’autre des options ? La modernisation de Poitiers-Limoges est bien entendu essentielle, mais ne peut-on penser que sa vocation est avant tout de garantir une desserte régionale de qualité, quand celle de POLT est aussi de demeurer un maillon d’intérêt national ? On est donc en droit de ne pas partager l’optimisme de M. Delebarre, dont la réussite des projections demeure toutefois assortie d’un vœu pieu, celui d’une discussion constructive entre Etat et Région :

Cette option, qui aboutit à rendre un service d’équilibre du territoire à la fois par le POLT en « Train d’équilibre du territoire » et par un mixte de TER et de TGV n’est pas classique, mérite d’être approfondie en termes de gouvernance, et nécessitera des discussions approfondies sur les rôles respectifs de l’État et de la Région Nouvelle Aquitaine dans la mise en place de ce service.

L’idée de moderniser conjointement les deux axes est donc autant enthousiasmante qu’incertaine.

Pour ce qui est de POLT, l’idée d’une amélioration des temps de parcours au prix de travaux et d’une amélioration des véhicules, promise par l’Etat, me semble plus fiable, une trentaine de minutes pouvant être gagnée sur la liaison Paris-Limoges. Mais là encore, je pense qu’il faudra rester vigilant : il ne faudrait pas que l’arrivée de connexion Wi-Fi dans les futures rames Intercités entre 2020 et 2025 (ou la mise en place de vieilles rames TGV Atlantique sur POLT, comme réclamé par une pétition récente), ne soient que les petites compensations apportées aux quelques irréductibles voyageurs qui continueront d’emprunter une ligne POLT qui entre temps aura perdu en efficacité, faute de travaux d’infrastructures suffisamment ambitieux… L’une des déclarations finales ne me semble pas dissiper suffisamment les doutes :

Il appartiendra aux collectivités concernées par la ligne POLT, en concertation avec l’État, de se prononcer sur ces améliorations à poursuivre rapidement pour conforter chez l’usager l’envie d’utiliser cette ligne et sa confiance en son bon fonctionnement.

Les décideurs comptent-ils « conforter l’envie » de l’usager autrement que par de simples améliorations de la 4G ?

Liaisons transversales : peut mieux faire !

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La ligne Limoges-Angoulême à Exideuil (16), gare fermée depuis l’an dernier. (c) L. D, 2013.

Je suis d’accord avec l’idée que la création de la nouvelle grande région suppose des améliorations substantielles entre les villes appartenant autrefois à des régions différentes (principalement Poitiers-Limoges, on vient de l’évoquer, et Bordeaux-Limoges, qui fait l’objet de réflexions approfondies de la part de la Région Nouvelle-Aquitaine). M. Delebarre reste en revanche fort peu loquace quant à l’avenir des liaisons transversales vers l’est, pourtant essentielles pour assurer le désenclavement des territoires centraux et des marges des nouvelles grandes régions. Tout juste trouve-t-on :

Je tiens d’ores et déjà à souligner l’importance qu’il y aurait pour la région Nouvelle Aquitaine à entamer des discussions avec sa voisine Auvergne-Rhône-Alpes afin de coordonner les horaires des liaisons « transfrontalières », qui permettent notamment à Aurillac d’accéder aux trains vers Paris à Brive.

Au-delà, aucun mot concret sur les moyens de parvenir à relancer les liaisons suspendues, qu’il s’agisse d’Ussel – Clermont-Ferrand ou de Limoges – Guéret – Montluçon – Lyon, alors que leur devenir est crucial pour la cohésion territoriale. À peine plus au sujet d’Angoulême – Limoges, bien malade pourtant, ou de liaisons dynamisées entre Brive et Bordeaux. Rien non plus sur l’électrification de Saint-Sulpice-Laurière – Guéret – Montluçon, promise depuis des années, et qui pourtant serait tout à fait complémentaire de la modernisation de Poitiers-Limoges. Sans doute aurait-il été pertinent de missionner une étude sur la desserte ferroviaire du grand Massif central…

En définitive…

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Passage du dernier TGV Brive-Lille en gare de Limoges (30 mai 2016). Cette liaison relancée peut constituer une solution à court terme pour limiter les effets de la relégation. (c) L. D., 2016.

Au final, si ce rapport a le mérite d’évacuer la relance de la LGV, et si je suis convaincu par l’idée de moderniser la ligne classique Poitiers-Limoges, l’idée a priori stimulante d’en faire une alternative à la liaison Paris-Orléans-Limoges, me semble à terme préjudiciable à l’avenir de la ligne POLT historique. Je suis dubitatif quand à la circulation de TGV entre Poitiers et Limoges, qui pourraient assécher POLT et donc à terme recréer les effets néfastes de la LGV Poitiers-Limoges sur la liaison classique. Nos territoires peuvent-ils se permettre un projet en demi-teinte, qui peine à choisir entre deux options séduisantes mais potentiellement réciproquement excluantes ? Ce sera aux acteurs politiques de trancher, enfin.

Je trouve en revanche que le retour des circulations TGV Brive-Limoges-Roissy-Lille est porteur d’opportunités plus intéressantes et moins concurrentes, en ce qu’il permet l’ouverture au réseau européen que l’arrivée à Paris-Montparnasse de rames TGV venant Limoges et Poitiers, certes plus rapides, ne peut assurer. Si cette liaison était effectivement déficitaire, l’absence de communication faite à son sujet n’y était sans doute pas pour rien.

Je regrette enfin que le rapport n’ait pas fait de l’amélioration de POLT le cœur de son développement, et ne s’inspire qu’à la marge des propositions faites dans le cadre du projet « THNS – Des trains pour tous » dont j’ai déjà parlé ici. Les liaisons transversales, régulièrement négligées, brillent aussi par leur absence.

Ce rapport n’a certes de vocation qu’indicative. Le plus difficile sera sans doute de créer les conditions de la construction collective d’un nouveau projet fédérateur, sérieusement financé, et de s’épargner un nouveau gaspillage monumental d’argent public comme l’a impliqué le projet LGV Poitiers-Limoges. Gâchis autant déplorable qu’imputable à l’aveuglement de certains responsables politiques qui ont cru bien faire en s’obstinant à défendre un projet bancal. La proposition à deux têtes qu’avance M. Delebarre me semble hélas préfigurer de nouveaux affrontements de vues entre des responsables politiques que l’on attend pourtant au tournant. J’espère me tromper !




> Des pistes d’action pour lutter contre le déclin du commerce en ville.

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Capture d’écran 2017-03-15 à 22.08.38Le 16 mars dernier, j’assistais à Marne-la-Vallée à une journée très instructive consacrée aux « espaces urbains vacants ». Organisée par l’Ecole d’urbanisme de Paris (EUP), elle-même installée sur le campus de Champs-sur-Marne, cette journée réunissait des chercheurs et plusieurs professionnels, qui ont mis en évidence les nouvelles pratiques à l’oeuvre dans la résolution de ce mal qui touche nos villes.

Cette problématique d’actualité constitue une évidence visuelle et politique dont chacun peut prendre conscience à Limoges (ou ailleurs), à l’aune du nombre de vitrines closes, de façades décaties, de bâtiments en friches… Les élus et les citoyens sont souvent désemparés face à ce déclin des quartiers historiques et résidentiels, même s’il est évident que les choix d’aménagement opérés par les premiers, et les pratiques des consommateurs que sont les seconds, sont en cause.

Les intervenants de la journée ont donc apporté leur pierre à l’édifice de la reconstruction des centres historiques en perdition. Dans un premier temps, il s’agissait de rappeler en quoi agir sur les espaces urbains vacants n’est pas chose aisée : la très grande diversité des sites (ancienneté de la vacance, type de bâti…), l’absence de recensement, la difficulté de parfois en retrouver les propriétaires sont autant de contraintes à gérer.

Parmi les présentations, deux ont tout particulièrement retenu mon attention.

La première fut effectuée par la « Fédération des Boutiques à l’essai ». Cette structure associative est née du constat tristement classique effectué par la municipalité de Noyon, dans l’Oise, d’une très forte vacance de ses commerces de centre-ville. L’idée est de permettre à un porteur de projet d’expérimenter une idée de commerce dans un local vacant, pour une période-test de 6 mois. Le postulant est auditionné par un comité de sélection composé d’élus, du manager de centre-ville, de l’association des commerçants, de représentants des chambres consulaires, du promoteur privé associé et aussi de la banque, du comptable et de l’assurance qui se portent garants. S’il est sélectionné, l’heureux élu bénéficie d’un local à loyer modéré sans travaux de gros œuvre, d’un accompagnement en amont de son installation (business plan) et en aval (suivi après ouverture), d’un financement préférentiel octroyé par le conseil municipal (prêt à taux 0%) et bien entendu du réseau de partenaires et de l’assistance juridique et méthodologique de la Fédération. Ce dispositif a le mérite de dépasser l’aspect curatif de la « boutique éphémère », et de rassurer les promoteurs privés rassurés par un tel accompagnement du commerçant et qui de fait seront plus enclins à alléger le loyer.
L’idée a séduit et donc essaimé dans plusieurs autres villes en France. Le bail est renouvelable une fois, et peut aboutir sur une pérennisation de l’activité. Un outil qui s’avère donc intéressant dans la relance de l’activité en ville, y compris en termes d’image et de volonté politique, d’autant que le Fédération, régulièrement sollicitée par les gestionnaires de grandes surfaces pour relancer les galeries commerciales, se refuse à intervenir dans ces contextes dont on sait qu’ils contribuent à miner l’activité dans les quartiers centraux.
On pourra néanmoins regretter l’absence à ce jour de prise en compte de la parole citoyenne et habitante dans les comités de sélection, mais l’évocation de cette lacune lors de la table-ronde a semble-t-il positivement interpellé le représentation de l’association.

L’autre intervention était assurée par l’association « Rues du Développement durable » (RDD). Installé à Saint-Etienne, ville en récession durement marquée par la crise industrielle, le collectif s’appuie sur le même constat d’une forte vacance dans des quartiers résidentiels de la ville, où la concurrence des supermarchés et la tendance à l’uniformisation commerciale minent le tissu de proximité.

RDD fait office de facilitateur entre les porteurs de projets et les autorités. L’association s’engage dans la difficile recherche des propriétaires de locaux parfois abandonnés depuis de nombreuses années et donc fait profiter les porteurs de projets de sa bonne connaissance de l’état actuel et local de la vacance. RDD peut aussi souscrire un emprunt bancaire, négocier avec le propriétaire la gratuité ou la progressivité du loyer, et met à disposition un réseau informel de partenaires (artisans notamment). L’association incite également l’épargne populaire pour parvenir à l’achat de locaux. En outre, fait très stimulant, l’association met en place des ateliers avec les habitants pour sonder leurs aspirations en termes de services, et ainsi faire en sorte de trouver les porteurs de projets qui soient les plus en adéquation avec les besoins de la population, notamment des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Un bon moyen d’éviter la mono-activité et la gentrification ! L’association a diversifié son activité en promouvant une Université populaire et en créant des bureaux partagés en plein cœur du quartier populaire et alternatif de Crêt de Roch.

La responsabilité des professionnels est d’autant plus grande pour orienter décideurs et usagers vers de nouvelles pratiques, qui fassent figure de remèdes à cette crise et qui dans le même temps intègrent les nouveaux enjeux de la biodiversité ou de la sobriété énergétique. Il convient de signaler qu’il n’existe aucune solution miracle – et sans doute cela sera-t-il le cœur du propos d’Olivier Razemon, invité à en parler autour de la présentation de son livre consacré au sujet le 20 avril prochain à Limoges. Simplement, par le débat, le partage de bonnes idées, peut-être pourra-t-on faire prendre conscience à chacun du rôle éminent qu’il peut jouer dans la revitalisation de nos petites et grandes villes.




> Revue littéraire : Tour de France des villes incomprises, de Vincent Noyoux

25092016

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1507-1Sorti au printemps dernier, Tour de France des villes incomprises, de Vincent Noyoux, brosse un portrait de quelques-uns de ces coins de France à la réputation aléatoire. Pari intéressant que d’aborder une nouvelle fois la question des imaginaires géographiques en se confrontant directement à l’expérience du terrain et de la rencontre. Le résultat sera-t-il à la hauteur du défi ?

Elles sont douze à avoir été arbitrairement sélectionnées : Mulhouse, Vesoul, Guéret, Cholet, Vierzon, Cergy, Saint-Nazaire, la vallée de la Fensch, Verdun, Maubeuge, Châtel-Guyon et Draguignan. Vincent Noyoux a choisi, au fil d’une année, de s’y rendre pour vérifier si ce que l’on en dit de plutôt mal – isolement, ennui, laideur, misère… – est vrai. Deux ou trois jours sur place, à chaque fois. L’expérience est bien entendu subjective : certaines contrées ont moins de chance que d’autres au sens où elles seront visitées un jour de pluie, en plein novembre, un jour de fermeture des magasins… Qu’importe. On compte davantage sur l’engagement et la bonne foi du narrateur que sur sa bien-pensance, pour déceler le positif qui sommeille en ces petites cités.

D’emblée, on doute, car les poncifs sont bien présents. Parlant de Mulhouse : « on n’y trouve pas de bars branchés ni d’abbayes classées. (…) On n’y croise aucune célébrité. » (p. 8) Mais rapidement, la subtilité du style dénote le volontarisme de Vincent Noyoux à trouver ce qui peut plaire en ces villes. Non, ce n’est pas dans le guide touristique décalé que donne l’auteur, car celui-ci ne se prive pas de critiquer ce qui ne lui plaît pas. Mais on le sent réellement touché par ces villes dépréciées, et c’est cette sincérité, qui transparaît dans les passages très bien racontés, les émerveillements non feints, les surprises communicatives de ce road trip personnel et attachant, qui nous prouve qu’un a priori peut ne pas résister à qui sait le questionner.

On se délectera d’une sorte d’éloge de la curiosité : Vincent Noyoux se frotte à ce qu’il ne connaît pas, ce dont on parle beaucoup sans chercher plus loin, ce qu’il craint, même. On pense ici à Cergy la banlieusarde : « l’imagination s’enflamme vite et l’on en veut aux journaux télévisés, au rap, aux films brûlots sur la banlieue autant qu’à soi-même de se laisser déborder par cette paranoïa pyromane », p.61. Certes, Vincent Noyoux n’est pas tout à fait un français moyen, il est journaliste de voyage et on se dit que c’est aussi dans son métier et dans son ADN que d’aller à l’encontre de ses préjugés. Mais peu importe, ici, l’aventure personnelle, le défi personnel surpassent largement l’expérience professionnelle car on parle bien moins de patrimoine conventionnel et de crise économique que de rencontres, d’échanges et de petits plaisirs quotidiens. D’ailleurs, n’ose-t-il pas snober la gastronomie locale à Vesoul pour y préférer un étonnant et chaleureux restaurant roumain ? Préférer au discret patrimoine historique choletais les usines Pasquier ou les improbables œuvres d’un artiste contemporain local ? Descendre en règle le musée de l’Hôtel-de-ville de Mulhouse pour préférer se rire de sa déambulation de néophyte entre les voitures du musée de l’Automobile ? Décevant ? Pas du tout ! On parle ici d’un tour de France des villes incomprises : il convient donc de les décrypter, de les amadouer, de les ménager, et en aucun cas de servir une carte postale surannée et bien-pensante. « Mulhouse [et tout ce livre, ndlr], c’est d’abord un grand bras d’honneur à Jean-Pierre Pernaut » (p.12).

ob_6489f7_1Le livre se lit facilement, c’est un dialogue entre l’auteur et son lecteur. Le propos est certes parfois un peu politique, par exemple quand il s’agit de requestionner le modèle de la ville-nouvelle avec Cergy, de regretter les errements de l’économie touristique qui ose vendre une « terrine du Poilu » à Verdun, ou de déplorer l’endormissement des villes évitées par les autoroutes et lâchées par leurs petits commerces. Mais jamais trop, de sorte que le bouquin reste un livre de voyage plutôt plaisant.

Et puis c’est souvent drôle, en tout cas bien assez subtil pour que l’on ne s’offusque pas des railleries de l’auteur : « à quoi ressemble une forêt de sapins quand on lui retire ses sapins ? Probablement à quelque chose comme la Haute-Saône » (p.28) ; « Vesoul (…) ça évoque une ventouse qui n’adhère plus » (p.28) ; « Vierzon est une petite ville de 27 000 âmes située aux portes de la Sologne et aux portes de la Champagne berrichonne. Rester aux portes de tout est le propre des paillassons, mais on ne s’est pas toujours essuyé les pieds sur Vierzon. » (p.92). On pense aussi au film Bienvenue chez les Ch’tis présenté comme « documentaire des plus rigoureux sur la pluviométrie dans le nord de la France » (p. 197), ou à cette pauvre « Maubeuge à la vie nocturne de Pluton » (p. 203).

DSC_0089Et au moment où se dit que non, il va trop loin (Guéret, qui au passage n’est pas la ville la mieux sauvée du livre, comparée à « un œil crevé sur le plus ravissant des visages » (p.43) nous rappelle tristement l’épisode Technikart, et on compatit aussi avec la Fensch quand l’auteur croit voir dans l’encadrement d’une porte la Mort en personne, p. 153), on se rassure en réprimant un sourire à la lecture d’une blague un peu lourdingue sur cette préfecture du nord-est, en se disant que ses habitants se moqueront sans doute aussi gentiment de cette ville du sud-ouest… On rira notamment du festival de blagues absurdes sur Vesoul (p.31). Même quand on peine à trouver des éléments réellement positifs – on pense à la longue et sinistre description de la vallée de la Fensch ou la déprimante présentation de Maubeuge -, la qualité de la propose et l’application à parler des gens, et même à s’effacer derrière leurs pensées à eux, rend belles ces contrées. L’humour, d’ailleurs, permet souvent de relativiser les inconvénients de ces villes et rabat les clichés : « Ce jour-là, il est gris, comme partout ailleurs en cette saison » (p.31).

On rend de discrets hommages à ces citoyens ordinaires, qui se battent pour réhabiliter leurs villes. Des plus attendus : les guides-conférenciers, les commerçants, un blogueur à Vierzon, les Creusois échaudés par la provoc’ parisianiste de Technikart, le chanteur Anis à Cergy… Aux plus improbables : un papetier militaire à Draguignan, un boucher halal fan de fortifications Vauban à Maubeuge, et même les basketteurs américains du club de Cholet.

Capture d’écran 2016-09-25 à 01.07.53L’auteur parvient-il à réhabiliter ces villes ? Sans doute ceux qui n’étaient pas convaincus ne le seront pas bien davantage car ces villes ne recèlent aucun grand monument ou grand festival (l’auteur le dit d’emblée !), mais ceux qui savent lutter contre leur préjugé sauront déceler, entre les lignes, les émotions qui auront animé l’auteur. Ambiance industrielle à Mulhouse ou dans la Fensch, ambiance morbide à Vesoul, immersion picturale et littéraire à Guéret, aventure pleine de risques dans une friche cergyssoise, : on peut aussi comprendre le propos du livre comme un plaidoyer pour une curiosité subtile, ni voyeuriste ni misérabiliste, en somme pour un tourisme différent, alternatif, plus sincère et moins automatique. « On ne juge pas seulement une ville par la qualité de son patrimoine ou de ses espaces verts, mais par une foule de ressentis liés à des détails anodins : une poubelle renversée en pleine rue, le sourire d’une passante, une mauvaise toux attrapée sur une place ventée, le pain trop sec au restaurant. Une bonne séance de cinéma peut sauver un séjour. » (p. 203). Notre pays est « une mosaïque de lieux secondaires, ingrats de prime abord, décevants parfois, mais essentiels. Ils permettent au touriste de respirer, de souffler un peu entre un château et une  »ville d’art et d’histoire ». Ils rappellent surtout que la France a une histoire : telle vallée sinistrée ne l’a pas toujours été ; telle station thermale a connu des jours meilleurs ; tel port a connu un âge d’or. La population est partie, les centres-villes s’étiolent, mais ces lieux ont encore quelque chose à nous dire. Il suffit de savoir les écouter. ». « Un lieu n’est insipide que parce qu’on l’a décidé. » (p. 217)

EDIT : fichier pdf La contribution du Populaire qui rend justice à la vie étudiante guérétoise. :-)

Photo : le 12:45, M6. La gare de Guéret (L.D., 2015). Cergy (L.D., 2016).







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