> France 3 et la musique trad : la caricature à heure de grande écoute

31032016

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Capture d’écran 2016-03-31 à 02.09.56La télé peut être un formidable outil de vulgarisation et de découverte. Encore faut-il en user correctement. France 3 Limousin s’est livrée à un exercice prometteur : donner une place et un peu de lumière aux musiques traditionnelles du Limousin, patrimoine vivant mais discret de notre région. Mais le résultat est tout autre. La faute à un mauvais montage, déontologiquement discutable, hélas pas tant inattendu.

Vendredi dernier, dans le journal du soir, Louis Roussel et Angélique Martinez évoquent en fin de programme des initiatives musicales locales. Françoise Etay, directrice du département de musique traditionnelle du Conservatoire à rayonnement régional de Limoges, est l’invitée en plateau. Rappelons que le Conservatoire de Limoges est le premier de cette taille à avoir accueilli en son sein un département tout entier consacré à ces musiques, au sortir de la vague de regain du folk, en 1987. A l’époque, entre autres programmes, France Culture consacrait une heure à un reportage proposé par Thierry Lamireau, que je vous invite à réécouter. Aujourd’hui, le département existe toujours. Et même si la musique trad du Limousin n’a pas l’audience et la visibilité de ses voisines bretonne ou auvergnate, où des exécutifs régionaux plus volontaires et des artistes plus grand public ont sans doute soutenu la démocratisation de ces musiques pourtant très ancrées dans notre histoire commune, la détermination des élèves et des enseignants limougeauds demeure intacte.

Revenons en 2016, sur France 3 Limousin. Le reportage n’est plus en rediffusion libre depuis ce jeudi 31 mars, mais j’ai pris soin d’en conserver la trace en notant les interventions. [Edit 09/04 : la vidéo est en ligne sur Youtube !]

Louis Roussel : « (…) et on s’intéresse à la musique traditionnelle. »

Angélique Martinez : « Oui et de nombreux orchestres existent dans notre région, ils font vivre un patrimoine musical souvent méconnu. On en parle dans un instant avec notre invitée, Françoise Etay, responsable des musiques traditionnelles au Conservatoire de Limoges. »

Jusque là tout va bien. Si on ne revient pas sur le fait établi que ce patrimoine est en effet relativement méconnu par le grand public, on se satisfait de voir que justice s’apprête à être rendue aux groupes qui font de cet héritage une pratique vivante et actuelle (c’est ce qui différencie la tradition du folklore, soit dit en passant). Justice aussi pour le Conservatoire – qu’on nomme et que l’on convie en la personne de sa responsable, c’est un point important : on comprend que l’institution publique accorde une place à cette culture. Cela voudrait donc signifier qu’elle est d’intérêt général et qu’elle nous regroupe potentiellement.

S’en suit un reportage sur la fanfare des « Gueules sèches ». Ce groupe historique (94 ans, on nous le rappelle) a du talent et du mérite, c’est entendu, mais on saisit mal la transition. Les premières images et propos introductifs du reportage insistent d’ailleurs sur le costume des musiciens. Cela aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. La suite du reportage est plus bienveillante et fidèle : on montre en quoi la formation consacre l’intergénérationnel, l’amateurisme (au sens positif du terme !), le partage, la solidarité, les rencontres… Fin du reportage, retour en plateau avec Françoise Etay. Sans autre transition ni commentaire. C’est à se demander si le reportage ne restait pas en magasin, ou si le responsable de l’orchestre n’a pas fait faux bond aux journalistes sur le plateau de l’émission.

A.M. : « Françoise Etay bonsoir, merci d’être avec nous. Alors les musiques traditionnelles sont peu médiatisées. Au Conservatoire de Limoges, 200 personnes sont inscrites au département des musiques traditionnelles. Comment expliquez-vous cet engouement, s’il y a un engouement ? »

F.E. : « Je pense que les musiques traditionnelles sont attractives en elles-mêmes, par leur matière musicale, c’est-à-dire que ce sont des musiques dynamiques, et des musiques de partage aussi. Des musiques qu’on joue pour un public qu’on voit, qu’on touche, avec lequel on vit des soirées de danse, de bal… Et ça compte beaucoup, je pense, pour la motivation des gens qui se lancent dans l’apprentissage d’un instrument. »

En dépit des éléments lancés tous azimuts par la présentatrice, le décor est planté par Françoise Etay. Sans attendre non plus un monument de vulgarisation culturelle, on s’attend donc à voir un reportage qui illustrera autant que les « Gueules sèches » l’ont fait, combien la musique traditionnelle rassemble et enthousiasme les publics qui la connaissent. Et donc, combien cette intervention télévisée doit dissiper la « méconnaissance ».

L.R. : « Alors quels types d’instruments sont enseignés dans votre département au Conservatoire, des instruments oubliés ? »

F.E. : « Pas oubliés de tous (rires collectifs), puisqu’on n’a pas besoin de faire de publicité… »

L.R. : « Oubliés des plus jeunes ? »

F.E. : « (…) Les gens qui participent au bal ne les ont pas oubliés, on a violon, on a vielle à roue, on a aussi danse, on a chant, on a culture musicale, on a des ensembles, de l’occitan. »

L.R. : « Donc y’en a pour tous les goûts. »

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Ça se durcit. Voilà le moment classiquement attendu où ressurgissent les vieux poncifs.Françoise Etay s’accroche et combat les caricatures (trop) attendues.

A.M. : « En Limousin on a beaucoup de bals, de concerts le week-end. Est-ce que vous pensez que ça contribue à faire venir ces 200 personnes tous les ans dans votre département ? »

F.E. : « Oui, c’est des musiques qui s’entretiennent, par le contact avec le public. Je pense qu’il y a à peu près en moyenne deux trois bals – peut-être plus – dans la région, tous les week-ends. »

Angélique Martinez semble un brin plus positive et donc iconoclaste que son collègue. L’objectif est bien d’aider l’invitée à aller au bout de sa démonstration, c’est plutôt sain pour une invitation télé régionale, censée valoriser les initiatives locales, non ?

Mais là, patatra. Le frêle mais prometteur échafaudage s’effondre. Alors que Françoise Etay apparaît de nouveau à l’écran pour développer sa réponse, une incrustation sur l’écran se greffe à côté d’elle, présentant sans aucun texte d’appoint un cercle de danseurs plutôt âgés (ce n’est pas un mal en soi mais on attendait la preuve de la diversité des 200 élèves). De surcroît, dans une petite salle, sans public. On nous montre donc un groupe folklorique, et non un groupe de musique traditionnelle. Encore un rappel de la distinction – merci Wikipédia : « elle se différencie de la musique dite folklorique car elle ne vise pas à montrer le passé d’une musique (avec costumes, etc.), mais à faire vivre les musiques appartenant à un patrimoine de culture populaire dans l’actualité : chaque groupe ou musicien peut s’approprier la musique à sa manière, en cela influencé par son environnement culturel et social, et la faire vivre. Les trois concepts essentiels dans la définition de la musique traditionnelle sont donc l’ancrage socio-culturel géographique, la transmission et la re-création. »

L’absence de changement d’attitude chez Françoise Etay nous fait comprendre qu’elle ne voit pas les mêmes images. Encore pire. Les questions continuent toutefois. Bien que maladroites, elles sont plutôt intéressantes et pertinentes, c’est ce qui contribue une fois encore au décalage criard et pathétique.

L.R. : « Il y a des musiques spécifiques au Limousin ? Des bourrées limousines… »

A.M. : « Un vrai patrimoine ! »

F.E. : « Oui, oui, un vrai patrimoine, peut-être plus que dans le répertoire, dans la façon dont il a été joué. Je pense que ce qui colore particulièrement notre patrimoine, c’est une certaine dynamique. »

L.R. : « Le style limousin ? »

F.E. : « Oui, je pense que le style limousin est plus dynamique que celui des régions voisines (rires collectifs). »

L.R. : « On va pas s’en plaindre ! »

F.E. : « … et c’est souvent plus rapide aussi, pour ce qui est de la bourrée. »

A.M. : « Alors en revanche, tout le monde n’apprécie pas cette musique traditionnelle, est-ce que vous pensez que ce patrimoine est menacé aujourd’hui ? »

F.E. : « On a des avis différents sur la question. Je pense que le Conservatoire et notre département ont contribué à conserver beaucoup de choses, je dis ça en toute modestie, mais c’est une chose qu’on m’a souvent dite. On a quand même attiré… On a des jeunes qui potentiellement peuvent venir de toute la France, c’est parce qu’ils veulent approfondir cette pratique, et après eux ils iront rejouer dans d’autres régions, ce qui fait que notre patrimoine est assez connu des spécialistes. »

Jeu de questions-réponses assez logique, ambiance très cordiale. Françoise Etay insiste sur ce qui fait l’originalité et l’attrait de notre musique traditionnelle. Ne manque plus qu’une illustration !

L.R. : « Merci Françoise Etay d’être venue sur ce plateau nous présenter votre travail au Conservatoire de Limoges. Restez avec nous. »

On y vient ! On va découvrir les élèves, les bals, le discours des familles séduites par le trad, celui de ceux qui ne le connaissent pas encore mais pourraient s’y retrouver, ceux qui écoutent Nolwenn Leroy depuis longtemps sans savoir qu’elle ne serait rien sans Alan Stivell ou les sœurs Goadec, ceux qui écoutent Jean-Jacques Goldman, Véronique Sanson ou Olivia Ruiz et se souviendront que la vielle à roue habille leurs albums sans en faire des objets archéologiques. Las. C’est désormais un « gros plan sur un groupe folklorique régional ». Pas d’introduction, toujours pas de transition. Et surtout pas d’illustration. On va nous montrer « L’Eglantino do Lemouzi », qui semble là-encore devoir avant tout sa présence au journal par sa fondation en 1933 (presque aussi bien que les « Gueules sèches » !)

L.R. : « (…) cette troupe participe à maintenir les traditions grâce à ses costumes et ses danses. L’Eglantino do Lemozi est devenue une référence ! »

Mais… référence de quoi ? Françoise Etay apparaît subrepticement une dernière fois dans le champ, puis le reportage est lancé. On ne la verra plus, même si on lui a demandé de rester !

Voix off : « Les acteurs de ce groupe foklorique prennent un malin plaisir à revêtir la blouse, le tablier ou bien encore la coiffe, le fameux barbichet pour les dames. Chaque danse, chaque chant est un retour dans l’histoire des gens d’ici. L’Eglantio do Lemozi est une espèce de mémoire vivante des traditions du pays. »

Ou comment favoriser la confusion. Qu’est-ce qu’une mémoire vivante ? De l’histoire de quelles générations parle-t-on ? En quoi est-ce faire preuve de malin plaisir que de revêtir les costumes d’antan, sinon jouer à se déguiser ?

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Christiane Rabret : « C’était les danses qui égayaient les soirées, les veillées (…) ça donnait un peu de joie je pense. Et puis les bourrées, ça se fait aussi je pense pendant dans les veillées. »

Voix off : « Lors des répétitions, si l’ambiance est forcément légère, l’implication des danseurs et danseuses est totale. Une fausse note malgré tout : l’absence de jeunes adeptes, ce qui pourrait un jour, peut-être, remettre en cause la pérennité de la troupe. »

Jean-Louis Bardou : « Pour les faire venir, bon on essaye bien, mais, c’est pas… Est-ce que c’est pas pour eux, une coutume, une tradition ? C’est à nous aussi d’aller vers eux. Mais bon, c’est très difficile quand même d’avoir des jeunes. »

Voix off : « Au rythme de deux répétitions par semaine, L’Eglantino do Lemozi prépare activement ses prochains spectacles. Ils sont programmés partout en France. »

Et la dernière intervention de Louis Roussel, se voulant sans doute connivente, consacre définitivement l’assmilation journalistique entre l’interview et le reportage : « Démonstration du style limousin ! ».

Les trois erreurs du plateau télé

L’échec du message initial, et donc de la séquence toute entière, s’appuie en fin de compte sur trois erreurs.

1. On a montré ce que les gens attendaient de voir. Avec ce reportage qui associe explicitement l’interview de F. Etay et le groupe folkorique, la « musique traditionnelle » reste associée à une époque, une génération, mais aussi et surtout un message réducteur : montrer la tradition comme cliché d’une époque donnée (disons la première moitié du XXe siècle). Une conception potentiellement moins incluante que la véritable définition de la tradition, qui en soi est mouvante, relative et donc adaptée à tous et de tout temps. Sur Internet, on retrouve des discussions animées sur le sujet, où l’on comprend très bien que le folklore a acquis une connotation péjorative à partir du moment où il s’est revendiqué comme représentation figée d’une tradition, et non comme expression vivante et incarnée de cette tradition. Ici, l’enseignement de la musique traditionnelle du Conservatoire est donc assimilé à une commémoration assez caricaturale d’un passé révolu (encore une fois ce n’est pas un mal, mais ce n’était pas du tout le propos de F. Etay qui a construit sa présentation sur le thème du partage et de la création !). En plus d’être fausse sur le plan ethnographique et culturel, la présentation télé l’est aussi sur le plan moral et factuel car les musiciens de l’Eglantino do Lemouzi n’appartiennent pas au Conservatoire de Limoges !

2. On a nié le message initial, rendant totalement incompréhensible le propos de l’invitée, mais aussi le rôle de la télévision locale… et même celui des musiciens folkloriques ! En effet, Françoise Etay parle d’une pratique publique, collective, accueillante, novatrice et unique par son dynamisme, alors qu’on met en image l’inverse. La télévision est censée valoriser un patrimoine, une réussite méconnue, une richesse locale ; or, si on insiste sur les 200 élèves, sur les instruments propres au Conservatoire de Limoges, pourquoi ne les voit-on pas et y préfère-t-on une image d’Epinal ? Enfin, les musiciens folkloriques de l’Eglantino sont les autres victimes du reportage, il faut le dire. Si personne ne les a sans doute forcés à concéder les menaces qui pèsent sur le devenir de leur formation, pourquoi les avoir assignés à cette illustration très (trop) attendue, qui ne les sert en rien et ne peut que renforcer la caricature ? Cet enchaînement plateau-reportage est donc contradictoire.

3. Moralement, le résultat questionne l’honnêteté du produit télévisuel, en mettant en parallèle de façon relativement cavalière, sans commentaire ni écrit ni oral, les propos de l’invitée, qui s’est efforcée de montrer en quoi la musique traditionnelle pouvait concerner tout un chacun, et ceux des musiciens folkoriques ne sachant plus quels mots trouver pour déplorer l’absence de considération des jeunes – et au-delà du grand public – à leur égard. L’intervention finale du présentateur consacrant définitivement cette indélicatesse. Le propos de Françoise Etay a donc été assez grossièrement et doublement ridiculisé, par la contradiction de fond tout juste évoquée, et par le procédé de montage peu sincère et déontologiquement limite.

Le résultat est terriblement contre-productif. On voulait prouver la musique traditionnelle comme ouverte, rassembleuse, optimiste ? C’est raté ! Or, des jeunes, il y en a ! Des groupes dynamiques, il y en a ! Des festivals ouverts à tous, il y en a !

Des jeunes (et pas que) dans un bal trad en Haute-Vienne, septembre 2015.

Des jeunes (et pas que) dans un bal trad en Haute-Vienne, septembre 2015. (c) L. D.

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Balaviris 2015 à Eymoutiers.

Triste exemple des effets dévastateurs de l’image quand elle est considérée comme preuve en soi. Le totalitarisme de l’image, meilleur engrais des préjugés, aurait-il encore de beaux jours devant lui ? Il n’est pas ici question d’accuser ad hominem les présentateurs du journal et de mettre en cause leur bonne foi – accordons-leur sans rancune le bénéfice du doute. Sans la justifier, la faible médiatisation de la musique traditionnelle peut expliquer la grande maladresse du montage. En dépit de quelques remarques encourageantes, les présentateurs ont-ils eux-mêmes changé d’avis sur la question traitée par le reportage ? On craint que non, plombés par les images qu’ils ont diffusées. Plus triste est l’impact potentiel sur le grand public, qui ne sera certainement pas incité à sauver l’Eglantino, pas plus qu’il ne sera curieux d’aller voir si le Conservatoire parvient à cultiver autre chose que de l’entre-soi. Plus grave encore : que pensera-t-il de l’intérêt de financer publiquement ces musiques ?

Je repense à France Trad, cette parodie de chaîne de télé que mon amie Claire et moi avions mise en œuvre (dans nos têtes) pour nous prouver combien le trad était aussi un truc de jeunes. Je repense, plus en amont, à tous ceux qui ont porté le renouveau du folk, dans les années 70 et 80, quand ces musiques héritées, revivifiées, remodelées, étaient pourtant plus que n’importe quelle autre musique la quintessence de la jeunesse, du renouveau. Et je me dis qu’il y a encore du chemin à parcourir pour le faire admettre. Ce plateau télé était une occasion en or pour montrer que le trad est une musique du présent. Que d’énergie faudra-t-il pour compenser l’effet de cette séquence bien malheureuse !

La moindre des choses ? Un reportage honnête et contextualisé au département de musique traditionnelle du Conservatoire de Limoges !

Ci-joint, le courrier que j’ai envoyé ce jour à France 3 Limousinfichier pdf 

Bravo tout de même à Françoise Etay qui avait pu saisir une rare occasion de présenter le travail du Conservatoire à heure de grande écoute et de tenter de rétablir certaines vérités !

EDIT : en l’absence de réponse, relance effectuée le 4 juillet 2016.




> Penser collectivement la démocratie dans l’aménagement des territoires

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cist2016_afficheJe participais ces deux derniers jours, au titre de mon travail au sein du département de géographie de l’université de Genève, au 3e colloque du Collège international des sciences du territoire (CIST), intitulé pour cette édition « En quête de territoire(s) ? », à la Cité des territoires de l’Université de Grenoble Alpes. Enseignants-chercheurs, doctorants, mais aussi techniciens, élus, animateurs du territoire se donnaient rendez-vous autour d’une multitude de présentations et débats consacrés à l’avenir des territoires et notamment aux défis de gouvernance qui se posent à eux. « Comment assurer la bonne marche de notre démocratie dans les projets d’aménagement ? » ; telle pouvait être la formule-maîtresse de ce rendez-vous qui avait le mérite de réunir les universitaires autour d’enjeux concrets d’intérêt général, bien loin de la caricature contemplative et profiteuse à laquelle on les a parfois hélas assignés.

L’occasion pour moi de contribuer à une réflexion personnelle sur deux engagements. L’un associatif, celui de l’association 55 citoyens pour Limoges au sein de laquelle nous nous efforçons de réfléchir à de nouvelles manières d’agir ensemble avec les citoyens « sans statut » pour une plus grande acceptabilité des projets publics. L’autre plus personnel, à savoir la détermination et l’affinement de mon projet professionnel, à l’heure où jamais je n’ai tant hésité entre un projet de thèse et un engagement plus direct dans le monde du travail autour des questions d’aménagement, justement. Viendra bien vite le temps du choix.

Parmi les interventions auxquelles j’ai pu assister, je retiendrai, pour les plus passionnantes :

  • Celle d’Arnaud Brennetot et Michel Bussi (« Une géographie impliquée en faveur de la réforme territoriale : l’exemple du  »groupe des 15 » en Normandie »), qui ont contribué à mettre en place dans cette région un collectif transgénérationnel et relativement médiatique de géographes engagés dans le débat sur la réforme territoriale et résolus à le rendre public au sens premier du terme. Un moyen de prouver que la participation des chercheurs au débat public peut s’effectuer au niveau local, que l’aide à la décision publique peut aussi passer par des engagements de la société civile, mais aussi de souligner les limites de ces mobilisations (quel effet dans le temps ? quelle marge de manœuvre ?)

 

  • Celle de Christophe Parnet (« La métropole comme demande politique locale de territoire : le cas de Lyon »), qui a souligné combien la création de la Métropole de Lyon s’était faite dans le plus grand secret, comme effet de relations de pouvoir, par simple accord entre deux hauts responsables politiques locaux, en cela largement aidé par le cumul des mandats permettant aux élus municipaux de faire valoir leur projet en tant que sénateurs, qu’ils sont aussi ;

 

 

 

 

  • Celle de Claudy Lebreton, ancien président de l’Assemblée des départements de France, à la tête du département des Côtes-d’Armor jusqu’en 2015, qui s’est vu confier par le gouvernements deux rapports sur le rôle du numérique dans l’avenir des territoires, puis sur la nécessaire réforme de la politique d’aménagement du territoire en France (davantage de démocratie notamment !), et plaidant en faveur d’une véritable décentralisation ;

 

  • Et enfin, l’atelier en deux parties consacré au quartier populaire de La Villeneuve. Ce quartier prioritaire, à cheval sur les communes de Grenoble et Echirolles, tristement médiatisé en 2010 après plusieurs heurts ayant conduit à la mort d’un jeune du quartier et au triste discours ultra-sécuritaire de Nicolas Sarkozy, a fait l’objet dans la foulée d’un premier projet de rénovation contesté par les habitants en raison de son aspect assez directif et imposé sans réelle concertation. La mobilisation d’un tissu associatif et social dynamique, l’arrivée en 2014 d’une nouvelle équipe municipale menée par l’écologiste Eric Piolle, et surtout le concours des universitaires grenoblois (géographes, urbanistes, architectes…) ont permis l’émergence d’un nouveau projet, très largement porté par un impératif de co-construction et d’empowerment (autrement dit de transfert de compétences et de dialogue mutuel et horizontal entre riverains-usagers, décideurs et experts). Une démarche extrêmement intéressante, qui réinterroge profondément les manières de faire les territoires en France, mais qui pointe aussi l’inégalité des territoires face aux moyens de faire émerger les solutions. En effet, m’est venue une réflexion : s’il n’est évidemment pas question de remettre en cause les difficultés traversées par le quartier ces dernières années (au contraire), l’attention médiatique et la dureté des épreuves récentes n’ont-elles pas favorisé une solidarité locale tout-à-fait vertueuse ?
    Par un discours extrêmement volontaire, l’institution académique grenobloise réaffirme sa responsabilité sociétale de ne pas se contenter de faire des recherches « sur », mais aussi de faire des recherches « avec », au service du territoire sur lequel elle exerce et des habitants qui l’entourent, notamment en ouvrant ses murs à la population via un tiers-lieu. Mais que peuvent faire les villes qui n’ont pas la chance de posséder d’écoles d’urbanistes et d’architectes* ? Dont les décideurs locaux, tristement défensifs et méfiants, demeurent hermétiques à la valeur de l’expertise d’usage dont les habitants sont les détenteurs ? Dont les techniciens, abandonnés à leurs réflexes corporatistes et technocratiques en l’absence de volontés publiques de les ouvrir à la société civile, restent arc-boutés sur leur certitudes ?

 

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En somme, il s’agit de se demander si La Villeneuve, malgré un lourd héritage, n’a pas aussi pu compter sur un contexte favorable à la construction d’une réflexion commune (élus, chercheurs, citoyens…), contexte dont tous les quartiers ne peuvent bénéficier. Pour favoriser l’égalité des chances de tous les territoires face à ces défis, l’Etat, plutôt que de freiner des quatre fers, n’aurait-il pas à assumer son rôle d’acteur majeur du renouvellement des modes de gouvernance en assumant une fonction d’incitateur et de facilitateur des démarches locales de co-construction ? D’autres impératifs m’ont empêché d’assister à la fin des débats, mais je ne doute pas que des compte-rendus constructifs en seront tirés. Alors peut-être pourrai-je complètement prendre la mesure de cette contribution au débat sur le devenir nécessaire de la participation citoyenne à l’aménagement du territoire. La diversité et la qualité des présentations durant ce Colloque permettait au moins de saisir combien la recherche universitaire a toute sa part à prendre dans la mise en place de solutions d’intérêt général.

* Je me souviens ici d’un enseignement tiré d’une exposition sur les projets architecturaux à Limoges en 2010, où l’organisatrice reconnaissait le rôle capital de l’institution d’enseignement dans l’émergence de projets au service de la ville où elle réside.

Crédit photo : CIST 2016, @reseau_urbain




> Revue littéraire : Régions à la découpe, de P. Orcier

16032016

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À la toute fin 2015, alors que l’on s’apprêtait à élire les premiers élus de nos régions redécoupées, paraissait un petit ouvrage original, Régions à la découpe. Ce livre signé Pascal Orcier, est en fait un atlas – et c’est en ce sens qu’il est très accessible –, riche de très nombreuses cartes présentant les innombrables découpages que notre pays a subi ou aurait pu subir.

Venu ponctuer près de deux années de débats houleux sur le découpage des nouvelles régions, son bien fondé et ses effets supposés, ce petit opuscule ne cherche toutefois pas spécialement à montrer en quoi la dernière réforme territoriale aurait pu s’organiser autrement (l’auteur ose tout juste présenter une proposition alternative en fin d’ouvrage).

Il s’agit en vérité de la relativiser en la replaçant dans un contexte historique de dizaines de découpages successifs, non sans un brin de sentimentalisme il est vrai, avec ces belles cartes colorées qui rappellent les tableaux d’école. Il s’agit aussi de comparer cette dernière réforme aux découpages imaginés par des acteurs plus discrets mais tout autant prégnants dans notre quotidien, comme les chercheurs mais aussi les entreprises. Si ce n’est pas une belle preuve de l’invalidité de la théorie un temps consacrée des ultra-libéraux qui pensaient que la mondialisation signerait la fin des territoires ! Car dans les faits, l’homme spatial (coucou Lussault) ne peut s’empêcher de découper et recouper son environnement duquel il entend extraire la légitimité de son pouvoir, et sur lequel il doit structurer sa présence pour optimiser son action. N’est-on pas l’élu d’un groupe, donc d’une circonscription, d’une entité, avant d’être un représentant légitime de la République ? Un commercial ne cherche-t-il pas à rationaliser l’écoulement de sa production sur une aire de chalandise adaptée à ses moyens ? Un écologue peut-il vraiment prétendre gérer des milliers de kilomètres carrés d’espaces naturels sans se passer d’un découpage qui bornera l’aire d’autorité de son expertise vis-à-vis de son homologue et voisin ? Les législations, les autorités, les finances s’appuient bien sur des cadres délimités.

Le livre se « découpe » en quatre parties. La première, conventionnelle, est consacrée à la construction de notre territoire national. On apprendra sans doute peu de choses, mais on prendra conscience que le Limousin était déjà Aquitain du temps des Gaulois, et on ne se lassera pas de la carte des 130 départements français du Premier Empire, où Rome, Hambourg, Amsterdam et Barcelone étaient comme Limoges, Tulle ou Guéret, des préfectures de départements. La deuxième fait non sans nostalgie la part belle à nos aires culturelles (langue, gastronomie, architecture, éducation, politique). La troisième, cœur du propos, passe en détail tous les découpages délibérés et institutionnels. Outre les découpages administratifs de base, on en connaît un certain nombre : au détour des panneaux, des courriers officiels et des attentes téléphoniques, on a dû déjà se rendre compte que l’on donnait son sang en Aquitaine-Limousin, que nos finances publiques étaient vérifiées en Centre-Limousin, que notre compte Caisse d’Epargne était Auvergnat-Limousin. La dernière, celle des utopies, évoque certaines idées jamais concrétisées, des projets révolutionnaires au rapport Balladur, nous apprenant par exemple que le géographe Jean-Marie Miossec rêvait pas plus tard qu’en 2008 d’un projet intéressant de redécoupage égalitariste des régions mais aussi des départements, qui aurait rattaché la Charente limousine, le Lot et la Dordogne au Limousin (tiens tiens, j’avais presque esquissé l’idée il y a sept ans).

Si les petits commentaires de l’auteur, en bas de chaque carte, éclairent le contexte et les raisons de tel ou tel découpage, un petit regret, du moins se plait-on à en rêver : on serait tout de même bien content d’avoir à côté de chaque carte le témoignage du responsable du découpage en question venant justifier et défendre son bricolage ! Ici la direction de Système U qui rapproche la Haute-Vienne du grand Sud, là celle de Casino qui nous place en Vallée du Rhône, ou bien les éditeurs du guide Michelin qui nous ont toujours unis au Berry. Entre projections économistes, nostalgiques et visionnaires, peut-être comprendrait-on davantage quelles sont les valeurs, les idéologies et les représentations qui, au-delà de la chimère du « rationnel » et de l’ « objectif », rabâchée à longueur d’interviews télévisées, animent nos décideurs.

On apprendra enfin que, concernant notre nouvelle grande région, quelques-uns semblent en avoir anticipé les contours : les autorités de la IVe République avec leurs régions économiques de 1948, l’administration pénitentiaire et les éditions Hachette, qui sont les trois acteurs présentés dans l’ouvrage dont le découpage prenait déjà la forme de la région ALPC !

Régions à la découpe intéressera tous ceux que le grand cirque de la dernière réforme territoriale a passionné, mais aussi tous ceux qui aiment se poser des questions sur la justification de telle ou telle limite. Y apporter des réponses, voire, mais puisse cet ouvrage au moins contribuer à entretenir notre curiosité collective, et placer un peu de géographie entre les mains de chacun.

Photo : L.D., 2016

Régions à la découpe, de Pascal Orcier, Atlande, 143 pages (19 €)
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> Adieu Sophie Dessus

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Sophie Dessus (1955-2016). Une élue de convictions pugnace, respectée et appréciée.

Je ne connaissais pas personnellement Sophie Dessus. Au-delà de sa présence médiatique (et pas simplement aux côtés de Jacques Chirac), je me souviens simplement l’avoir vue à Davignac, tout juste élue députée de Corrèze. Son dynamisme emportait tout… Femme à poigne et courageuse. Il en restera de belles choses, des combats, des réalisations, des valeurs. Hommage.

Photo : François Burgevin.




> [Ailleurs] – De la ville-musée à la ville-monde, les enjeux de la toponymie du tramway parisien

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Je vous renvoie amicalement vers une contribution personnelle faite au blog scientifique du département de géographie de l’université de Genève, dans la foulée de la réalisation de mon mémoire de master en 2015, sur les noms des stations de la ligne T3 du tramway parisien, et l’objectif de parité dans ces noms que s’étaient fixés les décideurs à la Mairie de Paris. Où l’on comprend que le paysage toponymique créé par cette commande répond pleinement aux enjeux d’image et de valeurs de la ville-monde qu’est la capitale : internationale, tolérante, multiculturelle, créative…

On est assez loin du Limousin mais on rejoint, je crois, mes intérêts pour la chose publique, le rapport des gouvernants au territoire et à ceux qui l’habitent, et l’usage qu’ils font de ce territoire – et de ses noms en l’occurrence – pour énoncer et réitérer spatialement leur projet politique ! L’occasion de revenir, quelques jours après la journée des droits de femmes, sur un aspect particulier de la politique de « rattrapage » paritaire visant à remettre un semblant d’égalité dans l’espace public.

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> Le TGV Brive-Lille est mort. Vive… ?

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Je suis contre le tout-TGV, évidemment, et pour la modernisation du POLT, de façon tout autant évidente, ayant déjà pu le développer sur ce blog. Cependant, la liaison Brive-Lille, qui disparaîtra d’ici quelques semaines, était une liaison TGV différente, qui bien que ne roulant pas à vitesse TGV avait le mérite de relier le Limousin et le Centre au réseau à grande vitesse européen (vers Strasbourg, la Belgique et Londres), tout en s’épargnant le transfert dans Paris entre Austerlitz et Gare du Nord. Ce TGV qui n’en était pas totalement un avait davantage un rôle de « désenclaveur », donc d’Intercités ! Cette assignation pouvait se débattre, mais elle souligne au mois les lacunes de notre desserte Intercités effective. Quoi qu’il arrive, en l’absence d’un POLT à 100% de son efficacité, en effet nous perdons gros.

On nous rappelle que cette liaison était déficitaire et surtout utilisée entre Lille et Roissy, que le TGV n’est pas un service public et qu’il se doit d’être rentable. On peut être en désaccord avec ce principe mais c’est un fait !

En dépit du lancement d’une pétition, pour l’instant au succès modeste, ce TGV est probablement perdu, car il n’est clairement pas dans les clous financiers des responsables (Région ALPC, Région Centre, Région IDF, Région Nord-Picardie, Etat (car la SNCF ne peut rien sans l’Etat)). Ici les responsabilités sont partagées il me semble. Les élus régionaux, au mieux indignés, au pire résignés, ne pourront probablement pas renverser la tendance. Pour trouver les 4 millions d’euros supplémentaires à apporter pour continuer de perfuser cette liaison, peut-être aurait-il fallu pour cela requestionner l’engagement financier mortifère et tristement infini pour cette chimère qu’est la LGV Poitiers-Limoges.

Plus de huit ans après son lancement, le TGV Brive-Lille s’apprête donc à quitter la scène. Manifester sa déception est une chose, promouvoir l’après en est une autre, à laquelle il convient de s’atteler sans trop tarder. Le combat en faveur du POLT me paraît essentiel dans l’optique d’un maintien du Limousin et du centre de la France dans un semblant de réseau national à vocation européenne. Bien qu’ayant perdu depuis la suppression de l’Elipsos de nuit pour Barcelone toute dimension internationale, la gare de Limoges-Bénédictins doit pouvoir se réaffirmer comme pôle majeur à l’échelle de la France, par sa position centrale de carrefour entre Atlantique et Massif central, Paris et Bassin aquitain. Pour que ces vœux ne demeurent pas pieux, il s’agit dès à présent de militer de la façon la plus active et collective qui soit pour un projet global de rénovation du POLT, et au-delà pour la (re)création d’un vrai réseau Intercités à haut niveau de fréquence qui puisse à moyen terme compenser largement la perte du Brive-Lille.

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Je vous renvoie vers la proposition hautement intéressante que plusieurs élus régionaux EELV avaient formulé en 2013, à savoir le projet DesTrainsPourTous, proposition alternative richement argumentée à l’échelle du grand centre de la France, consistant en une modernisation des voies existantes, la création de quelques déviations ferroviaires, permettant de remédier en même temps, et à bien moindre coût que la LGV, aux trois « déceptions ferroviaires » majeures du Limousin : la déliquescence du POLT, le complexe de la grande vitesse, la fracture des liaisons transversales. Le projet permet en effet de relier Limoges à Lyon en 3h40 via Vierzon, mais aussi Paris-Limoges en 2h20 en utilisant notamment une nouvelle branche POLT à 250km/h entre Orléans, Pithiviers et Paris, qui se connecterait à Orly… et qui par ce biais pourrait remettre en place une liaison Limoges-Orly-Marne la Vallée-Lille (et donc par extension offrir des correspondances vers l’Est de la France, le Benelux et l’Allemagne).

Apostrophée sur Twitter sur le sujet, Françoise Coutant, chef de file des écologistes au Conseil régional et vice-présidente de la région ALPC, répondait de façon légèrement désabusée…

C’est ce que je fais mais le combat est rude et les décideurs pas toujours très réactifs et conscients des enjeux https://t.co/2ZwJOewsfR

— Françoise Coutant (@Fcoutant) 9 Mars 2016

Il est donc grand temps de nous retrouver autour de projets cohérents, et de les pousser très fortement à la concrétisation, d’où qu’ils viennent. En voici un ! Et il faudra bien davantage que l’ »intransigeance » des élus locaux pour obtenir, plus qu’une réparation, une juste considération.

Photos : Le TGV de Brive entre en gare de Limoges le 8 février dernier (L.D.) – Carte du projet THNS Des trains pour tous.







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