
Jusqu’au 28 septembre prochain, se tient à Paris dans les fabuleux espaces de la Cité de l’architecture et du patrimoine, la très belle exposition « Un bâtiment, combien de vies ? », consacrée aux multiples emplois de nos constructions. Quoique relativement restreinte – comptez une petite heure pour en profiter au mieux –, cette exposition très visuelle, enrichie de nombreuses maquettes, a le mérite de dresser un panorama assez riche des opérations réussies de réaffectation fonctionnelle d’infrastructures prétendument arrivées en bout de course.
Alors que jamais les contraintes environnementales et financières n’ont été si importantes, et alors que nous sommes confrontés dans le même temps à un paradoxe technique éthiquement stimulant – on sait tout faire ou presque, mais est-ce une raison pour tout faire réellement ? –, la question de la réutilisation du bâti préexistant bouleverse nos schémas d’action : faut-il sanctuariser notre patrimoine ? Si oui lequel, selon quels principes ? Comment faire du neuf avec du vieux sans donner l’impression de faire « a minima » ? …
Les résultats, souvent épatants, parlent d’eux-mêmes. Parmi les études de cas, d’anciennes usines devenues logements, des lieux de culte dénués de leur vocation initiale avec brio, d’anciens moulins réinvestis par des bureaux – à Pantin. On retiendra notamment l’ancienne cimenterie que le célèbre Ricardo Bofill a fait sienne de façon époustouflante à Barcelone (cf. photo ci-dessus), l’ancien aéroport de Berlin-Tempelhof que les habitants, consultés, ont préféré transformer en vaste parc périurbain, ou encore l’audacieuse modernisation du nouvel opéra de Lyon, signée Jean Nouvel. Autant d’exemples séduisants pour autant de solutions aux grandes problématiques urbaines que sont la gestion et la reconversion des friches industrielles, la crise du logement ou la densification du bâti.
S’ouvre ainsi un champ des possibles particulièrement vaste, qui doit motiver la créativité des décideurs et de leurs maîtres d’oeuvre – et ce sans pour autant recourir aux plus grandes signatures. Plus loin encore, on remarquera également que certains des travaux présentés dans l’exposition concernent davantage des « liftings » architecturaux que de véritables reconversions : indépendamment de tout jugement de valeur, le cas de la gare de Strasbourg, dont l’austère mais majestueux bâtiment néo-classique a été recouvert d’une bulle de verre, prouve que le patrimoine peut faire pourquoi pas l’objet de réinterprétations contemporaines. Ce qui donne des clés dans la quête de réactivation de l’adhésion sociale aux patrimoines (n’est ce pas le but de toute action d’urbanisme ?). Ainsi, à travers certaines notions plutôt iconoclastes, comme celle du « patrimoine en mouvement », les propos rapportés par certains grands architectes et penseurs de la ville contemporaine donnent de sacrés coups de pied à la frilosité des acteurs institutionnels, qui s’auto-conditionnent bien souvent par force discours sur l’idéal de modernité. Et passent hélas trop souvent à côté de réelles opportunités pour leurs territoires et les populations qui y vivent.
Et si Limoges s’inspirait de ces axes de réflexion ? Dans notre ville, quelques exemples de réhabilitations et de reconversions fonctionnelles, plus ou moins audacieuses et plus ou moins réussies. Du côté des réalisations plutôt louables, citons par exemple l’ancienne usine Royal Limoges, en bord de Vienne, désormais occupée par un McDonald’s (certes…), l’ajout moderniste de la fac de droit rue Turgot, l’ancienne bibliothèque municipale récupérée par le restaurant La Bibliothèque, ou encore une partie des locaux de l’ancien hôpital où s’est installée une aile de la nouvelle BFM – en dépit des scandaleuses destructions dont certains anciens éléments du bâtiment originel ont fait l’objet. Plus discutables sans doute sont la réfection de la caserne de la Visitation, réappropriée par le Conseil départemental qui a assez grossièrement barré la façade classique d’un rez-de-jardin peu élégant, ou le devenir bancaire de l’ancien cinéma Colisée, place Jourdan et de l’ancien bâtiment militaire de la zone Romanet.
Le modernisme ne doit bien évidemment pas donner droit à tous les autodafés ; c’est hélas un réflexe assez commun à Limoges (usine Heyraud supprimée au profit d’un centre Saint-Martial manquant d’âme, immeuble Faure condamné par la cité judiciaire, maison Lacaux menacée, fours à porcelaine négligés…), et cet état de fait doit changer ! On sera donc très attentifs au devenir de l’ancienne clinique du Colombier, promise aux étudiants, de l’ancienne école d’institutrices de la rue François Perrin, et à l’avancée des travaux dans l’ex-Eurodif, futur Fonds régional d’art contemporain s’annonçant prometteur.
Mais pas plus que les négligences ou fautes de goût déjà citées, l’aspect controversé de certains travaux ne doit brider l’audace et l’inventivité. Parallèlement, l’idéal de la patrimonialisation ne doit pas faire le jeu de l’inertie. Attention à ne pas jouer les conservateurs obtus : un patrimoine vit aussi par sa réinvention ! En somme, il s’agit dans la valorisation de trouver un juste milieu entre optimisation et hommage, et de ne pas sombrer dans le nombrilisme et l’ethno-centrisme du XXIe siècle.

Quelques exemples de sites dont une reconversion paraît à étudier :
- la friche industrielle Wattelez (cf. ci-contre), sur les bords de la Vienne, à l’entrée du Palais-sur-Vienne, et dont l’impact environnemental est hélas notoire ;
- la caserne Mareeau, dont la formidable emprise à deux pas du centre-ville doit motiver de vrais projets cohérents et socialement ancrés ;
- les locaux abrités par la rampe des Bénédictins, entre la cité des Coutures et les voies ferrées : des espaces au potentiel très important (sachant notamment que l’un des locaux communique directement avec le passage souterrain de la gare via la fameuse rue fantôme utilisée par la Wehrmacht) ;
- l’ancien Présidial, bâtiment de qualité hélas abandonné à son sort et aux stigmates du temps ;
- l’ancien Hôtel de commandement militaire, place Jourdan, dont on sait désormais qu’il n’accueillera sans doute jamais d’antenne du musée d’Orsay…
- …
Des pistes, il y en a ! De l’audace, il en faut !
Ce que vous en pensez…