> Services publics : des limites et échecs du rassemblement de Guéret
25062015Le 13 juin dernier, à Guéret, un grand rassemblement de défense des services publics se tenait à l’appel de la Convergence nationale des collectifs de défense et de développement des services publics. Se voulant d’importance nationale – des représentants de toutes les régions étaient présents, il faisait écho à son illustre homologue, la presque légendaire déambulation neigeuse de 2005, dont un François Hollande encore premier secrétaire du PS était un des participants. Ce regroupement anniversaire, largement relayé par la radio publique – évidemment concernée, devait prendre tout son sens par le fait que nous sommes tous concernés, plus que jamais dix ans après, par les perspectives noires qui continuent de se confirmer pour le service public, dans un univers de la concurrence la plus déloyale.
On attendait au moins 10 000 personnes et de grandes figures nationales et politisées de la contestation, qui seraient venues exprimer leur désarroi et leur colère face à la désertification hospitalière, à la privatisation des transports du quotidien, et plus globalement à la perte de souveraineté des citoyens dans ce qui les accompagne et les aide à vivre chaque jour (la santé, les transports, les médias donc, mais aussi la poste, la justice, l’eau, l’énergie, l’emploi…).
Et au final, en dépit d’un cortège dense et bruyant… un échec. C’est en tout cas ce qu’a relevé la presse nationale, et ce qu’ont avancé nombre de commentateurs. La mobilisation relativement faible – 4 000 à 5 000 manifestants selon l’estimation de La Montagne, sans doute la plus fiable et objective, a sans doute pesé dans ce jugement final. Surtout, dans le cortège, une foultitude de drapeaux et de mégaphones, un air de manif partisane, tristement « comme les autres », une ultra-domination des totems du militantisme politique et syndical, en dépit de l’absence de la CFDT ou de l’extrême discrétion du PS. En somme, une ambiance de fête, mais un message universel et « profane » qui peine à percer au milieu des slogans et des logotypes. En outre, une désorganisation patente – signalétique inadaptée, retards importants dans la mise en route des débats thématiques, et une communication hasardeuse dont on ne saurait dire si elle était l’expression d’un manque de moyens, ou d’un entre-soi confondant, voire d’un sectarisme empêchant la quête d’idées neuves ?
Car là était bien le problème central. À qui parlaient tous ces intervenants ? Et en définitive, au-delà des « convaincus », des « déjà conscients », qui participait réellement à ce rassemblement ? Loin de nous l’idée de nier l’engagement sincère et le combat légitime de tous ces élus, adhérents de partis, syndicalistes chevronnés et alters de la première heure, professionnels des hôpitaux ou des liaisons ferroviaires régionales sacrifiés sur l’autel d’une intangible rentabilité. Ils sont en pointe dans la dénonciation concrète d’un processus mortifère, dont les territoires ruraux et leurs habitants sont les premières victimes. Mais au fil de la journée, au gré des chants engagés et de l’étiolement de la ribambelle des marcheurs sous la pluie, grandit le sentiment que tout ceci est vain, un peu trop folklorique, et peut-être terriblement contre-productif.
Dans les débats, des échanges de bonne tenue et du parler vrai, mais des publics parfois très clairsemés, et des caméras qui se seront davantage agglutinées autour du photogénique mais éphémère Mélenchon, au deuxième rang de la manif. Fait éloquent : aux fenêtres, de très nombreux Guérétois prenant en photo les bannières multicolores, les percussionnistes survoltés, les marguerites brandies en l’air… Des Guérétois chez eux mais pas dans le cortège, ni aux débats… Le sentiment que ce rassemblement est avant tout une foire, une tribune, celle d’un petit groupe engagé, certes convaincu et sans aucun doute sincère, mais tellement peu représentatif, et par extension, dramatiquement excluant. Entre deux averses, la pugnacité laisse libre cours aux improvisations poétiques : « météo pourrie, météo du capital ! », a-t-on-pu entendre par moments. Les slogans sont souvent maladroits : si c’est certainement aux excès du capitalisme que l’on peut attribuer la lente mais certaine déliquescence du concept de « bien commun », comment concerner l’ensemble de la population par des appels révolutionnaires ?
Et nous de rêver d’une manifestation silencieuse et lourde, massive, grave mais résolue, autant que l’est l’impitoyable déconstruction du service public français et européen, ce bien commun par excellence. Une manifestation de ce fait originale, dans laquelle une majorité aurait pu se retrouver – souvenez-vous du 11 janvier. Pourquoi ne pas avoir convié des journalistes locaux comme il en existe de très bons, ou des universitaires, pour orchestrer les débats et leur donner un axe, un sens de lecture, une didactique en somme, et en formaliser les conclusions ? La politique est un piège, un outil galvaudé, mais la citoyenneté est une ressource infinie et fondamentale. Pourquoi ne pas avoir tenté de dépolitiser un sujet qui concerne tout un chacun ? Certes, on parle plus fort et on frappe peut-être plus aisément par des collectifs, et certes, l’austérité que d’aucuns au gouvernement promeuvent est un des principaux moteurs de la privatisation et de la polarisation outrancière des services publics, mais n’est-on pas citoyen avant d’être partisan ? N’est-ce pas ceci, notre première force collective ? Pourquoi ne pas s’appuyer à l’avenir, sur des collectifs associatifs transpartisans, sinon moins « colorés », pour peser mieux et nombreux ?
Alors, au final, une ambiance bon enfant, de (très) bonnes volontés et des témoignages édifiants et nécessaires sur la casse du service public orchestrée par les dirigeants de tous ordres et appliquée à toutes les échelles, mais un appel qui tourne en rond alors qu’il concerne 100 % ou presque de la population française. Certes le dimanche, un ensemble de déclarations officielles devait formaliser l’ensemble des réflexions et des prises de positions de l’événement, autour d’un « Appel de Guéret ». Mais sa portée semble limitée. Sur Facebook, 528 personnes seulement suivent la page consacrée au rassemblement, et ledit communiqué n’a été partagé que treize fois (!). On attendra toutefois avec impatience le prochain rassemblement, en 2016, cette fois à Paris…
Mais quel dommage ! Le contexte actuel semblait pourtant donner toute justification à l’organisation d’initiatives de défense des services publics, notamment en écho à la loi Macron, qui entre autres conséquences préjudiciables consacre un peu plus le démantèlement du réseau ferroviaire français. Et quel meilleur endroit que Guéret pour donner sens à ce message ? On continuera la mobilisation. Mais à l’Elysée ou Matignon, nous aurions du mal à en douter, avec tristesse imaginons les conseillers de l’ombre (presque) satisfaits d’avoir vu tourner cette journée à l’avantage des caricatures.
Merci à Geneviève Leblanc pour la réflexion dont elle m’a fait part et qui a donné matière à cet article, et pour sa présence à Guéret à mes côtés.
Photos : L. D.
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