> Les premiers noms de rue de la mandature Lombertie
28112014Nommer les lieux n’est pas un acte anodin. Certes, cela répond à des impératifs pratiques (l’adressage, le foncier), mais c’est en réalité un acte territorial et politique fondateur (voir ici et là). Parce que les noms matérialisent et institutionnalisent les lieux, d’abord, en validant ou se substituant à l’informel. Ensuite, parce qu’ils reflètent des intentions et des valeurs politiques, voire idéologiques : à Limoges, la foule de résistants, élus socialistes ou céramistes et porcelainiers présents dans les toponymes sont l’expression d’une tradition municipale sur le temps long et de la volonté de vénérer une certaine Histoire par la constitution d’un véritable Panthéon local. Même dans le cas de dénominations a priori inoffensives, quand ils relèvent du repérage pur et dur (une église, un équipement, un cours d’eau), ou qu’ils mettent à l’honneur le bucolique, les noms ne sont jamais neutres, soit parce qu’ils valorisent un projet porté par des élus, soit parce que la mise en lumière d’un objet géographique peut parfois être motivée par des intentions patrimoniales, donc forcément politiques.
Au-delà, les noms sont aussi un médiateur de pratiques sociales, car ils déterminent, sinon orientent des représentations du territoire et des pratiques dans l’espace. D’une part parce que le nom en tant que tel peut être artisan de la création d’un lieu. N’ai-je pas déjà entendu le terminus de la ligne 8 du bus de Limoges appelé phonétiquement « Maljoffre » alors qu’il s’agit bien d’une référence au Maréchal Joffre ? Un nom obscur peut également être mis en lumière à partir du moment où il devient un boulevard ou un carrefour (qui peut réciter la biographie de Nicolas d’Aine, de Denis Dussoubs, expliquer ce que sont les Casseaux, d’où vient le Champ de Juillet ?). D’autre part, le nom est social, et donc culturel, parce que porteur de références, d’idées et idéologies qui peuvent orienter les représentations. Nombreuses sont les villes qui dans la réalisation des lignes de transports collectifs, ont préféré attribuer aux stations des noms poétiques plutôt que de leur donner le nom des quartiers chauds qu’elles rechignaient à honorer afin de contrôler certains déplacements. Les noms inscrivent dans l’aluminium des abribus et la céramique des plaques de rue une certaine vision de la ville.
Ces décisions sont donc éminemment politiques ; voilà pourquoi il est intéressant, éclairant de les étudier et de revendiquer un droit de regard, voire de jugement. Dans cet article du Populaire, l’an dernier, on découvrait comment les odonymes (les noms de rues, donc), étaient décidés à Limoges. Comme dans les autres communes, le maire conserve cet apanage, acte presque régalien qu’il entend faire valider par un conseil municipal en général bien avisé de le suivre. Ainsi, les choix de toponymes effectués sous la mandature d’Alain Rodet, reflètent à la fois une tradition bien limougeaude – les noms de porcelainiers, de résistants – mais aussi les goûts de l’ancien maire pour le jazz, de notoriété publique.
La nouvelle majorité municipale a déjà mis en œuvre son entreprise de territorialisation politique par la dénomination de nouvelles voies. La lecture attentive des derniers compte-rendus des conseils municipaux est en cela révélatrice. On apprend ainsi que le nouveau conseil a d’ores et déjà proposé des noms aux nouvelles voies issues de l’urbanisation continue de la périphérie limougeaude : « la Grande-Pièce » vient bien logiquement donner un nom à la Voie de liaison nord. Deux émailleurs – Alain Grafeuil et Roger Duban – se voient honorés par deux nouvelles voies dans le secteur de la Bastide. C’est déjà en soi un acte politique, par l’hommage rendu à une profession emblématique de la ville qui fera de nouveau l’objet d’une Biennale re-créée par Philippe Pauliat-Defaye. Le nom de la résistante Germaine Tillion, récemment décédée, est également attribué à une allée toute neuve à Grossereix. Peut-être moins consensuel, le professeur Bernard Descottes, figure émérite du CHU disparue il y a peu, très proche de l’UMP et de l’association Haute-Vienne Alternance dont Emile-Roger Lombertie est un porteur, est également honoré par une voie traversant l’enceinte de l’hôpital.
Fait original : certains lieux déjà nommés changent de nom, dans un élan de féminisation que d’aucuns pourront apprécier. C’est le cas de l’école du Grand-Treuil, qui porte dorénavant le nom de l’institutrice Odette Couty, martyre d’Oradour. C’est aussi le cas de la rampe Haute-Vienne, qui prend le nom de Jeanne Villepreux-Power, naturaliste du XIXe siècle installée en Limousin, au nom du doublon avec la rue et la place du même nom, et sans doute de l’envie de valoriser une personnalité pionnière et évocatrice de la grandeur du Limousin au-delà de ses encore-frontières. Citons encore la place des Justes parmi les nations, juste devant le musée de la Résistance. Il est intéressant de noter que le nom de la nageuse Claude Mandonnaud, active dans les années 1970 et sélectionnée aux Jeux olympiques, consacre à la fois une rue de Limoges, remportée par la droite, et une salle du futur centre aquatique, porté par la majorité de gauche à l’agglomération, preuve que certaines personnalités, quand elles incarnent une grandeur (passée) de notre territoire, peuvent susciter l’admiration collective. C’est également là que l’on comprend que les débats autour des noms peuvent parfois cristalliser les conflits de mémoire et les appropriations symboliques de personnalités aux qualités posthumes tantôt fédératrices, tantôt partisanes (les villes communistes où celles gagnées par des maires FN dans les années 1990 en sont des exemples). Peut-être peut-on aussi y voir un exemple opératoire du nom comme outil de récupération d’un édifice public d’ampleur, qui pour l’opposition comme la majorité, incarne un potentiel de développement, de validation stratégique (et de reconquête).
Enfin, les stratégies employées pour décider des noms – associer le public ? ou préférer une décision sur un coin de table ? – sont également bien souvent révélatrices d’une certaine idée de la démocratie participative. S’il n’est pas forcément toujours nécessaire de discuter le nom des personnalités ainsi mises en valeur dans l’espace public, je pense qu’il faut considérer l’acte de nommer un lieu comme une responsabilité collective, par la force que le toponyme exerce sur les représentations collectives et le sentiment d’appartenance, notamment. Pourquoi ne pas faire de l’acte de nommer les lieux un laboratoire d’expérimentation de nouvelles pratiques de participation populaire, qui ne soit plus réduite à sa fonction uniquement légitimante de l’action politique institutionnelle ? Pourquoi ne pas intégrer ces discussions à l’agenda des futurs conseils de quartier ?
Lors du dernier conseil municipal, a été évoquée la perspective de nouvelles re-nominations, à suivre de près. La preuve que l’équipe Lombertie a pleinement revêtu les habits – à ce sujet du moins – de l’acteur territorial.
-> Voir aussi : l’historique des dénominations de voies depuis 2006.
Photo : (c) L.D., 2012. / Capture d’écran retransmission CM 19/11, mairie de Limoges.
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